La Cour suprême de Thaïlande a décidé vendredi de saisir plus de la moitié de la fortune de l'ex-premier ministre Thaksin Shinawatra, aujourd'hui en exil, considérant qu'il avait profité de sa position politique pour s'enrichir personnellement.

Les neuf magistrats de la Cour étaient appelés à trancher sur les 76,6 milliards de bahts (2,3 milliards de dollars) que représentait la fortune du magnat des télécommunications, actuellement gelée.

«La majorité des juges ont décidé que la richesse confisquée de Thaksin, provenant des dividendes de ses parts et de la vente d'une partie de ses parts, s'élève à 46,73 milliards de bahts», soit environ 1,4 milliard de dollars, ont-ils déclaré.

L'argent provient de la vente en janvier 2006 de la moitié des parts de son groupe de télécommunications Shin Corp., au Singapourien Temasek, transaction qui avait provoqué un immense scandale et précipité la chute définitive de sa popularité.

Les magistrats «ont établi que Thaksin avait utilisé son pouvoir en faveur de Shin Corp.», ont-ils estimé dans un jugement dont la lecture était retransmise en direct à la télévision et à la radio. «Les dividendes et la vente des parts de Shin Corp. est une richesse acquise par des biens inappropriés».

Thaksin, qui avait réaffirmé son innocence sur son site Twitter vendredi, avait été renversé par une junte en septembre 2006. Il vit depuis en exil pour échapper à une condamnation à deux ans de prison ferme pour des malversations financières dans un autre dossier.

La Thaïlande est obsédée par ce verdict depuis des mois, craignant une réaction violente des «chemises rouges», les partisans de Thaksin, responsables en avril 2009 de manifestations qui avaient fait deux morts.

Quelque 450 policiers en tenue de combat gardaient le bâtiment de la cour devant une poignée de «rouges», dont les responsables ont appelé à écouter le verdict avec calme et promis une manifestation le 14 mars.

Le gouvernement s'est dit prêt à recourir à une loi d'exception, voire à décréter l'état d'urgence pour maintenir la sécurité, et les ambassades américaine, britannique et australienne ont conseillé la prudence à leurs ressortissants.

«À partir d'aujourd'hui, les mesures de sécurité sont portées à leur maximum», a indiqué vendredi le porte-parole du gouvernement, Panitan Wattanayagorn.

Un fossé de plus en plus large se creuse depuis des années au coeur de la société thaïlandaise. Thaksin lui-même l'a évoqué dans un message adressé à ses partisans par vidéo-conférence.

«Aujourd'hui est un jour très important et un moment critique non seulement pour ma famille mais pour l'histoire politique et judiciaire, et la lutte de deux adversaires politiques représentés par deux couleurs», a-t-il indiqué en référence au rouge arboré par ses partisans et au jaune de ses adversaires.

Les «rouges», essentiellement les masses rurales du nord et du nord-est, réclament un meilleur partage des richesses et savent gré à Thaksin d'avoir mené une politique qui leur était favorable.

Les «chemises jaunes», soutenues par élites traditionnelles et royalistes de Bangkok, veulent quant à elles le rayer du paysage politique, dénonçant son affairisme et ses attaques présumées contre la monarchie.

Un fossé qui ne cesse de s'accentuer. «La Thaïlande craint le verdict de la cour suprême», écrivait vendredi dans le Wall Street Journal l'analyste Thitinan Pongsudhirak. «Quel que soit ce qui arrivera à sa fortune, compte tenu de la polarisation de la politique thaïlandaise, la seule certitude est que personne ne sera satisfait».