Des milliers d'enfants vivent dans la rue en Indonésie sans émouvoir grand monde, sauf lorsque le meurtre d'une quinzaine d'entre eux par un serial killer oblige les autorités à réagir et à promettre la fin de ce scandale de la pauvreté.

Arif était l'un de ses garçons dépenaillés qui font la manche aux carrefours de Jakarta. Jusqu'à ce jour de mai 2008 où le garçon de 7 ans a disparu. Le lendemain, un corps découpé était découvert dans un carton abandonné à une station de bus.

Sa mère n'a appris qu'il s'agissait des restes de son enfant qu'après l'interpellation, il y a quelques semaines, de Baeduni, surnommé «Babeh» («Papa»), 48 ans. Cet homme sans histoire, apprécié de ses voisins, a avoué au moins 14 meurtres et viols de garçons des rues, dont celui d'Arif.

Son interpellation a soulevé une forte émotion à Jakarta, d'autant qu'elle intervenait peu après celle d'un autre homme accusé d'avoir violé une quinzaine d'enfants défavorisés.

Une polémique a aussitôt enflé sur l'incapacité des autorités à garantir la sécurité et l'avenir des quelque 300 000 enfants des rues officiellement dénombrés.

Ce chiffre est largement minoré, estiment les associations qui s'activent pour combler le manque de structures d'accueil, de soin et d'éducation qui leur sont consacrées.

Elles critiquent aussi l'absence de supervision qui a permis à «Babeh» d'ouvrir, sans aucun agrément, un «sanctuaire» pour ces enfants dans sa maison, où il aurait abusé et tué plusieurs de ses victimes.

«Lorsque les enfants sont poussés en marge de la société, ils recherchent quelqu'un qui propose de les aider, à l'image de Babeh», qui se montrait aimant et attentionné, indique Arist Merdeka Sirait, responsable de la Commission nationale pour la protection des enfants.

Âgée de 12 ans, Ela Nurilasari, une copine d'Arif, vit dans les rues de Jakarta depuis cinq ans. Elle a appris à se méfier de ces hommes qui l'approchent avec des sourires ou des promesses. «Il y a eu un qui m'a dit: Monte sur ma moto. Nous allons nous amuser et je te donnerai un peu d'argent», raconte-t-elle, en précisant avoir alors pris la fuite.

Pour la jolie jeune fille aux longs cheveux noirs, ce danger est quotidien mais elle n'a guère le choix. «Mes parents sont balayeurs et ne gagnent pas assez d'argent. Si je ne travaille pas, nous ne mangeons pas. C'est ma vie», explique-t-elle. Les bons jours, elle gagne 20 000 roupies (environ 2 dollars) à chantonner un vague refrain destiné à convaincre les automobilistes à baisser la vitre et lâcher un billet.

À la suite de l'arrestation de «Babeh», les autorités de Jakarta ont pris l'engagement de débarrasser la capitale des enfants des rues d'ici 2011. Les associations, habituées aux promesses non tenues, n'y croient pas.

«Il est impossible de résoudre le problème en un an», estime M. Sirait, qui demande surtout la mise en place d'une politique de longue haleine pour «former ces enfants afin qu'ils n'aient plus à travailler dans la rue».

Le ministre des Affaires sociales a également prévu d'accroître le nombre de centres d'accueils. Mais, pour Muhrisun Afandi, professeur de sciences sociales à l'université Sunan Kalijaga, ces structures sont mal adaptées car elles refusent les enfants présentant des problèmes de comportement. «Les standards de discipline exigés sont impossibles à respecter par des gamins élevés à la dure loi de la rue», souligne-t-il.