Pour les Hindous qui s'y baignent religieusement, le Gange reste un fleuve propre et pur même si son eau, considérée comme sacrée, est en fait un vrai bouillon de cultures toxique, charriant eaux usées, détritus et déchets industriels.

La croyance selon laquelle se baigner dans le Gange permet de laver tous les péchés attire chaque année des millions d'Indiens et plus particulièrement à Haridwar (Nord), où se tient pendant trois mois depuis le 14 janvier l'une des plus grandes fêtes religieuses au monde, le festival «Kumbh Mela».

Mais les préoccupations environnementales liées à la pollution de ce fleuve long de 2 500 km grandissent, notamment lorsqu'il traverse des villes industrielles comme Kanpur, située à environ 800 km en amont de Haridwar.

«La situation est critique», estime D.K. Sundd, directeur de la Fondation Sankat Mochan, une association à but non lucratif qui s'est donnée pour mission de nettoyer le fleuve. La plupart des populations vivant sur les bords du fleuve, de l'Himalaya jusqu'au golfe du Bengale au Bangladesh, n'ont pas de système d'épuration.

Près d'un temple de Kanpur, de l'eau usée tombe en cascade d'une canalisation d'évacuation, se mélangeant ensuite à une traînée d'écume blanche qui serpente dans le courant.

Et pourtant, les Hindous, à l'instar de Ram Sharma qui prend un bain matinal dans le fleuve, continuent de croire que la foi l'emporte sur la science. «Comment pouvez-vous dire que cette eau est sale ? Ceci est une eau sacrée», affirme ce fidèle en prenant un peu d'eau dans ses mains avant de la boire bruyamment.

Un peu plus loin sur la rive, Mahinder Pal Singh a roulé le bas de son pantalon et s'est avancé dans le Gange jusqu'aux genoux pour prier. «Vous ne trouverez pas d'eau aussi favorable en aval», affirme-t-il fièrement.

À Kanpur, le Gange doit lutter contre la pollution émanant de l'industrie du cuir, qui emploie environ 50.000 personnes dans plus de 400 tanneries utilisant force produits chimiques, dont l'oxyde de chrome.

Même si les usines ont l'obligation de traiter les eaux usées avant de les rejeter, les associations environnementales les accusent de les rejeter directement dans le fleuve.

L'usine de retraitement des eaux utilisée par les industriels du cuir de Kanpur a une capacité de 9 millions de litres par jour. «Personne ne connaît le volume d'eaux usées que le cuir génère mais tout le monde sait que les tanneries en produisent plus que 9 millions, probablement entre vingt et trente», estime Ajay Kanujia, l'un des ingénieurs de l'usine.

Selon M. Kanujia, le niveau d'oxyde de chrome dans le fleuve n'a pas diminué depuis le démarrage de l'usine de retraitement en 1995. Il se situe à 150 mg par litre, pour un maximum autorisé de 2 mg par litre.

Le gouvernement a dépensé plus de 160 millions de dollars pour nettoyer le Gange depuis le lancement de son programme de préservation en 1985 mais il reconnaît que le niveau bactériologique plafonne encore aujourd'hui à un niveau dangereusement élevé.

En décembre 2009, la Banque mondiale a annoncé un prêt de 1 milliard de dollars à l'Inde pour soutenir les actions en faveur du Gange.

D.K. Sundd estime cependant que les bras les plus pollués du Gange ne se mélangent pas avec les tronçons les plus propres. Et puis, reconnaît-il, ce fleuve «est connu pour son extraordinaire résilience et ses capacités de récupération».