C'est une toute petite lettre, mais pour Thuraisamy Ganasaratnam, c'est l'équivalent d'un coup de massue. Ayant refusé la demande d'asile du Montréalais d'origine tamoule, le gouvernement canadien lui ordonne de retourner chez lui, au Sri Lanka. Le hic, c'est que chez lui, ça n'existe plus: un tsunami et une guerre sont passés par là.

«Je ne sais pas où j'irais exactement. Ma famille est décimée. Mon village n'est plus que l'ombre de ce qu'il a été. Il y a seulement une poignée de familles qui y vivent», relate l'ancien marchand de poisson qui a quitté le village de Valvettithurai en 2002 pour demander le refuge au Canada.

 

À l'époque, il a laissé derrière sa femme, son fils, sa vieille mère et d'autres parents, espérant qu'ils allaient éventuellement le rejoindre en terre nordique.

Valvetthithurai n'est pas n'importe quel village de pêche. Situé sur la péninsule de Jaffna, principalement habitée par la minorité tamoule du Sri Lanka, cette bourgade de bord de mer a vu naître deux mouvements de rébellion contre la majorité cinghalaise bouddhiste qui contrôle la destinée politique depuis son indépendance en 1948. Le plus important des deux est connu mondialement: les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE), plus communément appelé les Tigres tamouls.

«Le chef des Tigres, (Vellupilai) Prabhakaran, est né dans mon village. Nous avons fréquenté la même école», raconte M. Ganasaratnam.

Après la fondation des Tigres tamouls en 1972 et le début, en 1976, du conflit qui a opposé le groupe rebelle séparatiste à l'armée sri lankaise, la vie n'a jamais été au beau calme à Valvettithurai.

Thuraisamy Ganasaratnam raconte que son père a été tué en 1987 dans des affrontements. Deux ans plus tard, plus de 64 civils tamouls du village ont péri aux mains de l'armée indienne, qui venait de subir une attaque meurtrière des Tigres tamouls.

Dans les années qui ont suivi, Thuraisamy Ganasaratnam a dû jongler avec les demandes des Tigres tamouls, à qui il donnait de l'argent, et les mauvais traitements de l'armée. Il dit avoir décidé de partir après avoir été battu à maintes reprises.

Après la guerre, le tsunami

Mais il était loin de se douter de ce qui allait se passer pendant son absence. Valvettithurai a été saccagé par le tsunami de 2004. Au Sri Lanka, le désastre naturel a fait 38 000 morts et 1 million de déplacés. «La guerre avait détruit l'école, le tsunami a détruit le reste», note M. Ganasaratnam.

Plusieurs de ses proches sont morts et pendant quinze mois, il n'a pas eu de nouvelles de sa femme et de son fils. Puis, un jour, il a reçu un appel: ils étaient sauvés tous les deux. Cependant, raconte-t-il, ce n'était pas la dernière fois qu'ils allaient disparaître.

Au début de 2009, un autre tsunami - humain celui-là - a de nouveau frappé les régions tamoules du Sri Lanka et, du coup, Valvetthithurai. L'armée sri lankaise a lancé une offensive militaire finale contre les Tigres tamouls. Des milliers de civils ont été tués et 300 000 autres ont été redirigés dans des camps de réfugiés, où ils ont été maintenus incommunicado par l'État.

En mai, le gouvernement a annoncé sa victoire contre les Tigres et montré la preuve qu'ils avaient tué le chef des rebelles, Prabhakaran. Les portes des camps de réfugiés n'ont été ouvertes qu'au début du mois de décembre.

Quand il a reçu l'avis d'expulsion du Canada, cet automne, Thuraisamy Ganasaratnam avait à nouveau perdu la trace de sa femme et de son fils.

Outré par l'ordre de renvoi des autorités canadiennes dans les circonstances actuelles, son avocat, Jared Will, a demandé au comité des droits humains du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés d'intervenir.

Ce qui a été fait. L'expulsion de M. Ganasaratnam vers un village dévasté deux fois plutôt qu'une est maintenant en suspens. «Pour le moment, le gouvernement canadien respecte l'avis de l'ONU, mais il pourrait changer d'idée à tout moment», déplore Jared Will.