Comment se remet-on d'une catastrophe qui a, dans certains secteurs, tué une personne sur cinq, détruit la plupart des maisons et des infrastructures, transformé en réfugiés plus d'un demimillion de personnes? C'est l'histoire de la province d'Aceh, au nord de l'île indonésienne de Sumatra, où le tsunami a fait les trois quarts de ses victimes le 26 décembre 2004: 166 000 des 220 000 morts. Après l'horreur, c'est aussi l'histoire d'une opération sans précédent de reconstruction qui a considérablement élevé le niveau de vie des habitants de cette province pauvre. Des témoins racontent à La Presse la résurrection d'Aceh.

Il y a cinq ans, lors du passage de La Presse, des quartiers entiers de Banda Aceh avaient été transformés en fétus de paille, en amas de boue dans lesquels des milliers de cadavres attendaient encore. Une partie importante de la population, un demi-million sur les quatre que compte cette province du nord de l'île de Sumatra, s'entassait dans des camps de réfugiés dressés en toute hâte, dans une confusion parfois totale.

 

Aujourd'hui, plus rien. Les quartiers dévastés ont laissé la place à des constructions flambant neuves; des infrastructures et des écoles ont poussé grâce à un effort international sans précédent de plus de 8 milliards, selon la Banque mondiale.

Plus rien? Pas tout à fait. «Ils ont essayé de garder certains bâtiments comme témoignage du tsunami, mais en général, non, on ne voit plus les traces, raconte Nicolas Jeambrun, directeur de l'Agence d'aide à la coopération technique et au développement (ACTED). On voit qu'il s'est passé quelque chose puisque des quartiers entiers sont reconstruits avec le même type de maisons. On se doute bien que quelque chose de gros s'est passé, mais on ne voit plus les stigmates, ni dans l'architecture ni au sein de la population.»

Constat troublant, le niveau de vie des habitants de la province d'Aceh s'est même amélioré par rapport à ce qu'il était avant le tsunami. Alors que la pauvreté frappait 28,4% de la population en 2004, elle toucherait en 2009 environ un habitant sur cinq, selon les données de la Banque mondiale. La reconstruction, après des débuts laborieux, a été rondement menée, notamment grâce à une agence gouvernementale indonésienne, BRR, qui a centralisé l'important afflux de fonds internationaux.

«Les deux premières années ont été chaotiques, à cause de l'ampleur de la réponse, note M. Jeambrun. Il y avait trop d'organisations, trop d'argent, ce qui a engendré énormément de confusion dans les communautés. Ensuite, beaucoup d'ONG se sont retirées, et là, le travail est redevenu beaucoup plus normal.»

Du pain au lieu des routes

Agronome et responsable des opérations d'urgence et de réhabilitation à l'ONU pour l'alimentation et l'agriculture, Sylvie Wabbes a noté elle aussi le dur passage de l'aide humanitaire au développement à long terme. «C'est un peu un défaut du système de l'humanitaire, qui a une vision à court terme, par définition. Les acteurs du développement, eux, ont pris le relais, mais avec du financement un peu plus difficile, pas toujours pour les priorités qui auraient été celles des gens.»

Mme Wabbes critique au passage les priorités des décideurs, prompts à financer les infrastructures plutôt que les moyens de subsistance des populations locales. «Nous, on a essayé d'appuyer l'agriculture, l'élevage, la pêche, l'aquaculture, qui sont des secteurs qui ont eu très peu d'attention. Ce sont pourtant des secteurs qui fournissent la nourriture et les moyens de vie des gens.»

Quant à l'amélioration apparente du niveau de vie, elle tient à relativiser: «Il y a eu une injection de capital extraordinaire. Il y a eu création d'emplois, toutes sortes de postes créés avec toutes les activités de ces différents bureaux et d'organisations internationales. Mais ce n'est pas du long terme, ça.»

Au-delà des progrès matériels, il reste de toute évidence le souvenir d'une catastrophe sans précédent, qui a touché toutes les familles. Comment vivent aujourd'hui les Acehnais avec le souvenir de la catastrophe? Dur à dire pour des Occidentaux, avouent les deux responsables. «Chaque personne que vous rencontrez a perdu quelqu'un de sa famille, mais elle ne va pas venir vous le dire automatiquement, dit Sylvie Wabbes. C'est seulement quand on commence à connaître la personne. Les cicatrices sont là, elles sont très profondes, mais en même temps, la vie quotidienne continue.»

Selon Nicolas Jeambrun, la culture bien particulière des habitants d'Aceh, teintée de fatalisme et d'une pratique religieuse plus fervente, les a aidés à traverser l'épreuve. «Je ne trouve pas dans mon expérience quotidienne des traumatismes liés au tsunami. Ils ont fait le deuil, ils ont professé l'acceptation. Pour eux, c'est une volonté de Dieu, il n'y avait pas à se battre contre ça, il fallait essayer de se relever.»