S'incliner à la japonaise ou serrer la main à l'occidentale? En choisissant la première solution lors de sa visite samedi chez l'Empereur du Japon, le président américain Barack Obama a déclenché des réactions radicalement différentes sur chacune des rives du Pacifique.

Le maître de la première puissance mondiale s'est-il déshonoré en se courbant à 90 degrés tout en serrant la main de l'Empereur Akihito, comme le dénoncent ses détracteurs aux États-Unis, ou bien a-t-il fait preuve d'un louable respect de l'étiquette locale, comme l'applaudissent ses hôtes nippons? La polémique, teintée d'incompréhension culturelle, fait rage. «Nous ne nous soumettons pas aux rois ou aux empereurs. Le président des États-Unis, c'est autre chose», a tonné le conservateur américain Bill Bennett.

«Il est déplacé pour un président américain de s'incliner devant un chef d'État étranger», a renchéri le commentateur néo-conservateur William Kristol, qui y voit une preuve de l'affaiblissement des États-Unis sous la présidence Obama.

Les adversaires de M. Obama ont comparé son geste avec la rude poignée de main dont l'ancien vice-président américain Dick Cheney avait, la tête droite, gratifié Sa Majesté lors d'une visite au Palais impérial en 2007.

La Maison-Blanche s'est défendue en affirmant que le président n'avait fait que respecter la tradition nippone. Une opinion que partage Isao Tokoro, professeur d'études impériales à l'Université Sangyo de Kyoto (ouest du Japon).

«Quand on visite un pays étranger, la bonne éducation exige qu'on respecte le protocole du pays», affirme-t-il. Le salut d'Obama «doit être loué, et ne mérite en aucun cas la critique», s'insurge le professeur, selon qui «au Japon, s'incliner n'est jamais un signe de soumission face à autrui».

La polémique aux États-Unis a en effet de quoi étonner au Japon, où se courber est la façon habituelle de saluer, répétée des dizaines de fois chaque jour. Ce geste est aussi employé pour s'excuser.

«Se courber exprime le respect et l'ouverture d'esprit», explique Reiko Kasai, instructrice à l'école de bonnes manières JAL Academy. «C'est un salut qui démontre que l'on est heureux de rencontrer l'autre», ajoute-t-elle.

Selon le code de politesse nippon, il existe quatre niveaux de prosternation en fonction des circonstances, à commencer par le simple hochement de tête accompagnant un contact oculaire. Suivent les inclinaisons à 15 degrés, à 30 degrés, et enfin le profond salut à 45 degrés, le plus respectueux.

Certes, les photographies montrent que M. Obama a un peu forcé sa colonne vertébrale et s'est pratiquement plié en deux devant le monarque, lequel ne lui a rendu qu'une légère courbette. Mais selon Mme Kasai, cela se justifie par la différence de taille entre les deux chefs d'État.

«Comme le président est très grand, il a dû s'incliner très bas pour que ses yeux arrivent au niveau de ceux de l'Empereur, qui est de petite constitution», avance l'experte.

Saluer de la façon appropriée est particulièrement important lors d'une audience chez l'Empereur, auxquels les Japonais vouent un immense respect.

Selon la légende, Akihito est le 125e souverain d'une dynastie née au 7e siècle avant Jésus-Christ, et le descendant direct de la déesse du soleil Amaterasu. Ce n'est qu'en 1945 que Hirohito, le père d'Akihito, renonça à son statut divin après la capitulation du Japon face aux Alliés.

«Si Obama s'était avancé vers l'Empereur pour lui serrer la main en se tenant droit comme un I, il aurait fait preuve d'arrogance à notre égard», a estimé un commentateur sur la chaîne Nippon Television.