«Merci pour le verdict.» C'est le visage impassible, avec une pointe de sarcasme dans la voix, que la plus célèbre opposante à la junte militaire birmane, Aung San Suu Kyi, a reçu hier le verdict de la cour birmane qui a décidé de la priver de liberté pour la quatrième fois en 20 ans.

À l'issue d'un procès qui a duré près de trois mois, le juge a d'abord condamné à trois ans d'emprisonnement et de travaux forcés la lauréate du prix Nobel de la paix, pour avoir violé les conditions d'une peine d'assignation à résidence en hébergeant pendant deux nuits l'Américain John Yettaw.

 

Comme il l'a raconté en cour, ce vétéran de la guerre du Vietnam, qui se sentait investi d'une «mission de Dieu», s'était rendu à la nage à la résidence de Mme Suu Kyi le 3 mai dernier sans en avoir reçu l'invitation. L'incident a eu lieu deux semaines avant la date à laquelle Mme Suu Kyi, retenue à son domicile depuis 2003, devait être libérée.

Coup de théâtre de la junte

Cinq minutes après la lecture du verdict, hier, dans un geste théâtral, le ministre de l'Intérieur du Myanmar (le nom que donne le régime militaire à la Birmanie) a fait irruption dans la salle du tribunal de la prison d'Insein pour délivrer un message du leader suprême de la junte militaire, le général Than Shwe.

Rappelant que la figure de proue de la Ligue nationale pour la démocratie est la fille du héros de l'indépendance birmane, Aung San, le général a commué la peine d'emprisonnement en 18 mois d'assignation à résidence. «Le gouvernement veut la paix et la tranquillité de la nation», a expliqué le ministre.

La junte militaire ordonne à la leader démocrate de retourner à sa villa du lac Inya, où elle a été gardée en résidence surveillée pendant 14 des 20 dernières années.

Mme Suu Kyi n'aura pas accès au téléphone, à l'internet ou aux médias de son choix, et les autorités liront toute sa correspondance. Seuls son médecin et ses deux assistantes, Kin Kin Whin et Win Ma Ma - aussi condamnées à 18 mois d'assignation à résidence - pourront la côtoyer. Les autres visites devront être préalablement permises par la junte, qui a promis de libérer plus tôt la prisonnière «si elle se comporte bien».

Selon des témoins qui ont assisté à la scène, Mme Suu Kyi, 64 ans, est restée calme pendant les 90 minutes qu'a duré la séance de la cour. Avant de quitter le tribunal, elle a remercié les diplomates étrangers qui avaient assisté au procès et leur a dit qu'elle espérait travailler avec eux «pour la paix et la prospérité» de son pays, dirigé par un régime militaire autoritaire depuis 1962.

Critiques internationales

Loin d'apaiser la communauté internationale, la commutation de la peine d'emprisonnement de Mme Suu Kyi en prolongation de l'assignation à résidence a entraîné une levée de boucliers de par le monde hier. Le secrétaire des Nations unies, Ban Ki-moon, ainsi que les leaders de plusieurs gouvernements occidentaux, dont les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne et le Canada, ont dénoncé le procès et la sentence. Une pléiade d'organisations des droits de la personne leur ont fait écho, accusant le régime militaire de manoeuvrer pour écarter la dissidente birmane à l'approche des élections du printemps 2010.

Le Conseil de sécurité des Nations unies a été saisi de la question hier, mais les pays qui y siègent ont été incapables de s'entendre sur un énoncé commun.

Un média indépendant qui a son siège en Norvège et dispose de correspondants sur le terrain, Democratic Voice of Burma, a rapporté que plus de 3000 personnes avaient manifesté dans les rues de Rangoon à la suite du verdict. Près de 70 d'entre elles ont été arrêtées, qui s'ajoutent aux quelque 2200 prisonniers politiques du Myanmar.

Par ailleurs, l'Américain John Yettaw a été condamné à sept ans d'emprisonnement, dont quatre ans de travaux forcés, pour son intrusion chez Mme Suu Kyi.

Avec Al-Jazira, BBC, AP, AFP et Democratic Voice of Burma