La lutte contre la corruption est la priorité affichée des candidats à l'élection présidentielle en Indonésie mais, sur le terrain, la tradition de payer les électeurs se perpétue, même si son efficacité est désormais mise en doute.

Hamida est l'une des chevilles ouvrières de cette «money politics», comme l'appellent les Indonésiens, à Jakarta. La semaine dernière, cette veuve de 55 ans a été chargée de rassembler dans son kampung (quartier populaire) un maximum de «militants» pour aller crier leur soutien au dernier meeting de campagne du président Susilo Bambang Yudhoyono (SBY), grand favori du scrutin de mercredi. Les «cadeaux» étaient les mêmes pour tous: un tee-shirt arborant le visage souriant du président, un aller-retour en bus et 35 000 roupies (environ 3,5 dollars) en monnaie. Ainsi que l'assurance d'assister à un show gratuit puisque des chanteurs adulés animaient le meeting dans un stade de 70 000 places.

Hamida était ravie. Elle a reçu 500 000 roupies pour avoir rassemblé 300 supporteurs. La tâche était plutôt aisée car le président sortant «est très apprécié» dans les couches populaires, confie-t-elle.

Bien que militante du parti présidentiel, «l'experte en mobilisation» ne rechigne pas à rameuter pour les deux adversaires de SBY, l'actuel vice-président Jusuf Kalla et l'ancienne présidente Megawati Sukarnoputri.

«Nous avons reçu des tee-shirts de Jusuf Kalla. Et des chemises du parti de Megawati. Je les ai distribués», indique-t-elle. «Je n'ai pas de problèmes à travailler pour l'un ou pour l'autre».

Avant les élections législatives d'avril, Hamida avait aussi organisé la distribution de sacs de riz, de sucre ou des bidons d'huile de cuisson offerts par des candidats soucieux de choyer leur clientèle.

«Rémunérer» les électeurs est une tradition bien ancrée en Indonésie. Elle remonte aux immenses meetings organisés sous le régime de «l'Ordre nouveau» du dictateur Suharto, à la tête de l'archipel pendant 32 ans, explique Danang Widoyoko, de l'organisation Indonesia Corruption Watch.

Elle s'est maintenue après l'avènement de la démocratie, en 1998. «Cela est lié en partie à la faiblesse des partis, des machines électorales dont l'assise populaire est faible», selon M. Widoyoko.

Toutes les formations y ont recours. Même celles qui, à l'instar du parti de SBY, ont fait de la lutte contre la corruption l'un de leurs arguments de campagne.

Mais, pour certains observateurs, cette technique électorale a perdu en efficacité, les électeurs n'étant plus dupes lorsqu'ils voient, aux journaux télévisés ou à la une de la presse, ces foules compactes se presser autour des candidats.

De plus, après une décennie de démocratie et une succession d'élections, les Indonésiens se montrent moins influençables.

«J'ai été payé pour aller faire le militant à de nombreux meetings. Mais voter est différent, c'est un acte personnel», témoigne Muhamad Rabu, un vendeur de vêtements au chômage de 36 ans.