Les dirigeants civils et militaires de Turquie se sont réunis mardi pour évoquer des soupçons de conspiration militaire contre le gouvernement islamo-conservateur, qui provoquent une poussée de fièvre entre l'armée et le parti au pouvoir.

Le Conseil national de sécurité (MGK) se réunit tous les deux mois pour faire le point sur la sécurité intérieure et extérieure du pays, mais la réunion tenue en début d'après-midi a pris une importance particulière.

Le chef d'état-major des armées, le général Ilker Basbug, a en effet annoncé la semaine dernière que cette réunion se pencherait sur un prétendu complot, au sein de l'armée, visant à discréditer le gouvernement pour entraîner sa chute.

L'affaire a démarré par la publication le 12 juin par le quotidien libéral Taraf d'un document secret, qualifié de «bout de papier» par le chef des armées.

Lors d'une conférence de presse la semaine dernière, le général Basbug, flanqué de tous ses adjoints, a dénoncé avec solennité une «campagne de dénigrement» contre l'armée, sans dire qui en était responsable. Il s'est entretenu lundi avec le chef du gouvernement Recep Tayyip Erdogan.

Depuis que l'AKP (Parti pour la justice et le développement, issu de la mouvance islamiste) est arrivé au pouvoir en 2002, les relations entre le gouvernement et l'armée, qui se considère comme garante de la laïcité, sont tumultueuses.

Signé par un colonel de marine, le texte stigmatise l'AKP et la puissante confrérie du chef religieux Fethullah Gülen, qui le soutient. Il annonce le projet de lancer de fausses accusations contre l'AKP et la confrérie, pour les discréditer aux yeux de l'opinion publique.

Le colonel incriminé, Dursun Ciçek, a été entendu mardi par un procureur d'Istanbul avec plusieurs autres officiers.

Depuis sa publication, un débat sur l'authenticité du document a fait monter la fièvre entre le pouvoir et l'armée. La justice militaire a annoncé qu'il s'agissait d'un faux, mais l'AKP a saisi la justice civile.

M. Erdogan, qui ne semble pas convaincu par les conclusions de la justice militaire, s'est posé en défenseur de la démocratie face à toute velléité de complot contre un gouvernement démocratiquement élu, à l'heure où son pays frappe à la porte de l'Union européenne.

La tension a monté un peu plus dans la nuit de vendredi à samedi avec l'adoption par le parlement, dominé par l'AKP, d'une loi réduisant les prérogatives des tribunaux militaires.

De nombreux militaires à la retraite ou en activité sont déjà au banc des accusés, depuis l'an dernier, dans le procès Ergenekon, du nom d'un vaste réseau supposé visant à provoquer l'anarchie pour inciter les militaires à prendre le pouvoir.

En Turquie, l'armée a démis quatre gouvernements, depuis 1960.

Pour l'opposition cependant, l'enquête qui se poursuit dans l'affaire Ergenekon n'est que prétexte à réduire au silence les détracteurs de M. Erdogan.

«Il faut parvenir à une entente au sommet de l'Etat, car cela devient destructif pour les deux parties», pouvoir et armée, estime l'éditorialiste du journal Vatan, Okay Gönensin, alors que la presse dans son ensemble évoquait mardi une «crise de confiance» entre les institutions de l'Etat.

Lundi soir, de retour d'une visite en Chine, le président turc Abdullah Gül a tenté de calmer le jeu, appelant à l'«harmonie» dans les relations entre le gouvernement et l'armée.