Kim Jong-Il est-il un bluffeur qui utilise la menace nucléaire pour se donner une légitimité et assurer la survie de son régime? Ou s'agit-il plutôt d'un leader aux abois qui a perdu le contrôle de son pays et de lui-même?

Au lendemain de l'essai nucléaire nord-coréen, lundi, la plupart des analystes penchaient en faveur du premier de ces deux scénarios. Celui-ci paraissait d'autant plus plausible qu'il reproduisait une séquence d'événements familière. D'abord, un lancement de missile. Ensuite, une détonation nucléaire. C'est ce qui s'était passé en 2006 avant la reprise des pourparlers internationaux.

 

Mais cette fois, la «souris» nord-coréenne n'en finit plus de rugir. En cinq jours, le pays a lancé pas moins de six missiles, se hissant d'un cran dans les degrés d'alerte internationaux.

Cette série de provocations annonce-t-elle un changement de scénario? Sommes-nous en train d'assister à un dérapage?

C'est l'hypothèse que soulève John McCreary, ancien analyste du ministère américain de la Défense, qui va jusqu'à se demander s'il ne s'agirait pas d'un effet secondaire de l'accident vasculaire cérébral qui a terrassé le dictateur nord-coréen en août 2008.

«Depuis 40 ans, les chefs nord-coréens ont eu tendance à éviter le risque. Ils n'ont rien fait qui eût pu mettre en péril la survie de leur État - jusqu'à maintenant», écrit-il dans son blogue Nightwatch.

Ce comportement a changé après la maladie de Kim Jong-Il, poursuit l'auteur, qui ajoute que, si le «cher leader» des Nord-Coréens est responsable de cette multiplication de menaces un brin suicidaire, c'est peut-être parce qu'il a connu un «changement de personnalité» comme il en survient parfois à la suite d'un AVC...

Ce ne sont bien sûr que des spéculations, impossibles à confirmer dans un pays aussi fermé. Et fondées sur l'hypothèse d'un régime engagé dans une spirale irrationnelle.

Nouvelles craintes

Mais même si l'homme connu pour ses souliers plates-formes et son goût du luxe avait encore toute sa tête, même si sa démarche poursuivait des objectifs rationnels, les événements des derniers jours soulèvent de nouvelles craintes.

Car la Corée-du-Nord n'est pas seule dans le désert. Elle a des voisins. Et la réaction de ces voisins aux menaces de Pyongyang inquiète les analystes.

«Nous n'allons pas rester assis en attendant la mort», a averti il y a quelques jours Gen Nakatani, ancien ministre de la Défense du Japon, qui dirige un comité sur la possibilité de frappes préventives contre la Corée-du-Nord.

Ces propos tranchent avec la politique pacifiste d'un pays qui, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, se contente d'une armée d'autodéfense.

La Corée-du-Sud change de ton elle aussi. «Nous avons désormais besoin d'une arme de dissuasion nucléaire», a écrit un quotidien sud-coréen pendant que la Corée-du-Nord faisait voler ses missiles.

Autrement dit, Kim Jong-Il se livre peut-être à un exercice d'esbroufe destiné à attirer l'attention internationale. Ses gestes n'en font pas moins sursauter ses voisins. Et ils risquent d'entraîner une surenchère régionale.

C'est le Japon qui inquiète le plus Julian Schofield, politologue spécialiste des questions nucléaires à l'Université Concordia. Si ce pays entreprend de s'armer jusqu'aux dents, la Chine et la Corée-du-Sud vont réagir. «Ça risque de changer tout l'équilibre du monde et de conduire à un désastre», prévient-il.

Car, comme le dit joliment son collègue T.V. Paul, de l'Université McGill, la Corée-du-Nord «en fait peut-être plus que ce qu'elle est en mesure de mâcher». Les conséquences de ses gestes peuvent dépasser les intentions de Kim Jong-Il, qu'il soit atteint de démence ou pas...

 

Agence France-PresseUn test de missile à longue portée?

La Corée-du-Nord semble se préparer à lancer un engin balistique de longue portée, s'il faut en croire sa voisine du Sud. En parallèle, le secrétaire d'État américain, Robert Gates, a lancé hier une ferme mise en garde au régime communiste de Pyongyang: Washington ne restera pas «les bras croisés» face à la menace. Des images prises par des satellites espions américains ont montré des signes d'activité accrue, a assuré sous le couvert de l'anonymat un responsable du ministère sud-coréen de la Défense. Selon cette source, les militaires nord-coréens s'apprêtent à transporter par train un missile à longue portée à partir d'une usine proche de la capitale, Pyongyang, vers son pas de tir de Musudan-ni, dans le nord-est du pays. Selon un responsable du renseignement cité par l'agence de presse sud-coréenne Yonhap, deux semaines environ seront nécessaires pour achever les préparatifs. Le missile pourrait être testé aux alentours du 16 juin, lorsque les présidents américain et sud-coréen se rencontreront à Washington. Selon les spécialistes, il pourrait s'agir d'une fusée à trois étages d'une portée possible de 6700 km, donc capable d'atteindre par exemple l'Alaska. L'engin serait d'une taille similaire au missile balistique testé par Pyongyang en avril.