Hier, après des mois d'intenses combats, le gouvernement du Sri Lanka a annoncé formellement sa victoire dans la guerre qui l'oppose depuis plus de 25 ans aux Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE). Simultanément, l'armée sri-lankaise a publié des photos de la dépouille du leader du groupe séparatiste armé. Faut-il du coup conclure que les Tigres tamouls sont bel et bien enterrés? Avis divergents de deux experts.

Une moustache emblématique au milieu d'un visage tuméfié, sans vie. Un foulard bleu pour cacher une grave blessure ouverte à la tête. Un habit militaire et une plaque marquée du numéro O.O1.

 

Ces images sont la preuve qu'a donnée, hier, l'armée sri-lankaise de la mort de Vellupiali Prabhakaran, le chef suprême des Tigres tamouls. Pour les militaires, cette photo constitue aussi la principale preuve de sa victoire contre le mouvement d'insurrection du nord-est du pays: Prabhakaran ne cachait pas son ascendance complète et entière sur son organisation et sur la minorité tamoule, principalement hindoue, du Sri Lanka.

«L'organisation des Tigres de la libération de l'Eelam tamoul (LTTE) avait une structure dictatoriale, basée sur le culte de la personnalité de Prabhakaran», a expliqué David Cameron, doyen du département de sciences politiques à l'Université de Toronto.

Le leader, que ses fidèles surnommaient le «dieu soleil», ne supportait aucune dissidence. «Il faut se rappeler la création des Tigres tamouls. Prabhakaran a éliminé tous ses opposants», a rappellé Michael Shaikh, spécialiste de l'Asie du Sud au International Crisis Group.

Un tigre sans tête

Sa mort - pour le moment contestée par ses fidèles - signifie-t-elle la fin de ce redoutable groupe indépendantiste? À cette question, les experts ne s'entendent pas.

Selon David Cameron, les Tigres ne peuvent survivre avec la tête coupée. «La présence de Prabhakaran était centrale. Il était celui qui attirait une loyauté fanatique chez ses supporteurs. S'il avait réussi à survivre à l'assaut des derniers mois, il aurait pu remettre l'organisation sur pied. Sans lui, il y aura peut-être encore un peu de violence, mais le mouvement, privé de sa structure d'autorité, est mort», croit-il.

Expert du fédéralisme comme solution possible au conflits ethniques, le politologue canadien était au Sri Lanka quand le gouvernement a conclu un cessez-le-feu avec le groupe armé en 2002.

«À l'époque, les Tigres tamouls avaient la configuration d'un État. Ils avaient leur propre système de santé, d'éducation et leur propre police. Mais leur emprise sur la société était basée sur la peur. Si vous enlevez la peur, que reste-t-il de cette emprise?» se demande M. Cameron.

Un combat à finir

Michael Shaikh voit les choses d'un autre oeil. Selon lui, il est trop tôt pour vendre la peau des Tigres tamouls.

«Ils viennent de vivre la pire défaite de leur histoire. C'est la première fois en 25 ans que le gouvernement sri-lankais a le contrôle de 100% de son territoire, mais je ne pense pas que les Tigres soient éteints pour autant. Beaucoup de gens veulent encore un État tamoul indépendant et ils vont continuer à se battre», a noté hier M. Shaikh, joint à New York.

«Ce qui reste des Tigres sera incapable de mener une campagne militaire de grande envergure, mais on risque de voir des attaques terroristes urbaines.»

L'ardeur avec laquelle la diaspora tamoule soutient la rébellion armée depuis des mois et ce, malgré les rapports de violations des droits de l'homme commises par les troupes de Prabhakaran, est, selon lui symptomatique d'une certaine radicalisation.

Les manifestants tamouls à Montréal, Toronto, Paris et Londres accusent le gouvernement sri-lankais de génocide, mais refusent de critiquer ouvertement les méthodes utilisées par la guérilla armée.

«Tout ça est plus grand que Prabhakaran», a conclu Michael Shaikh.