Personne ne fait allusion à son grand âge -on fêtera ses 74 ans en juillet- ni à sa santé fragile. Tout le monde prie pour qu'il vive longtemps et personne n'ose aborder le sujet tabou qu'est sa succession. Le seul qui parle de l'après-dalaï-lama, en fait, c'est le principal intéressé.

Pourtant, la question est de taille, et le choix de la personne qui lui succédera est déterminant. Car avec le dernier soupir de l'un des leaders politiques les plus charismatiques au monde, c'est peut-être aussi la visibilité de la cause nationale du Tibet qui pourrait disparaître.

 

À la fin de l'année dernière, au cours d'une réunion extraordinaire de leaders tibétains exilés, à Dharamsala, dans l'Himalaya indien, le 14e dalaï-lama a soulevé devant la presse la délicate question dont personne ne veut entendre parler.

Plusieurs options existent. D'abord, l'institution pourrait être abolie, a-t-il suggéré, si les Tibétains en décidaient ainsi. Plus vraisemblablement, le Karmapa, deuxième dans la hiérarchie, pourrait reprendre le flambeau.

Le gouvernement en exil ou le dalaï-lama lui-même pourraient se charger de nommer un successeur. Ou une successeure! Car à Dharamsala, après avoir longuement disserté sur les vertus d'une réincarnation féminine, Sa Sainteté a réitéré haut et fort qu'il était temps que les femmes jouent un rôle plus important pour la paix dans le monde.

Coup de pub

En effet, le choix d'une nonne capable et charismatique apparaît comme l'option la plus originale et la plus rafraîchissante. Et ce serait un formidable coup de pub pour la cause nationale tibétaine.

À la tête de la Tibetan Women's Association, B. Tsering est d'avis qu'il s'agirait effectivement d'une perspective intéressante, à condition, bien sûr, que les Tibétains soient prêts à appuyer un tel changement. «Pour promouvoir l'amour et la compassion, une femme serait peut-être même plus compétente», avance-t-elle timidement.

Comme le souligne Tenzin Palmo, la fameuse nonne britannique qui a passé 12 ans dans une cave, une dalaï-lama aurait le mérite d'envoyer un signal fort dans un paysage bouddhiste dominé depuis 2500 ans par des moines. Dans la plupart des traditions, les nonnes n'ont toujours pas accès à l'ordination complète et, dans plusieurs régions du monde, elles se contentent de chanter et de pratiquer des rituels tout en étant au service des moines, rappelle-t-elle. Or, dans les textes sacrés, le bouddha considère que les sexes sont égaux, et à son époque les ascètes féminines vénérées étaient nombreuses.

Y croire vraiment

Dans l'histoire, une poignée d'hommes censés être éclairés se sont élevés contre l'infériorisation de leurs soeurs. Le dalaï-lama actuel, Tenzin Gyatso, est l'un d'entre eux. Il encourage les nonnes à suivre le même cursus que les moines et assure que, au même titre qu'eux, elles peuvent atteindre l'illumination. Et il est l'un des rarissimes chefs d'État à avoir publiquement présenté des excuses aux femmes de son peuple pour des siècles de discrimination.

Les Tibétains adulent leur leader comme aucun peuple et le suivent les yeux fermés. Même les plus fervents militants en faveur de l'indépendance suivent sa voie du milieu depuis des années, en dépit de l'absence de résultat et de la frustration qu'elle génère.

Mais de là à ce que les Tibétains, et leur hiérarchie, suivent Sa Sainteté jusqu'à choisir une femme pour occuper le poste suprême, il y a un pas de taille à franchir. L'idée peu sembler moins probable encore que l'autodétermination du Tibet. Mais si Tenzin Gyatso y croit vraiment, il pourrait peut-être convaincre les siens.