Dans le grand sous-continent indien, un seul objet de culte fait l'unanimité entre hindous, musulmans, sikhs et bouddhistes: le cricket. Ce populaire sport n'est cependant pas inattaquable, comme l'a démontré hier un groupe d'hommes masqués.

Équipés de kalachnikovs, de grenades et de lance-roquettes, 12 terroristes ont tendu une embuscade au convoi qui transportait vers le stade l'équipe nationale du Sri Lanka, au moment où les joueurs approchaient de la place de la Liberté, en plein coeur de Lahore, au Pakistan.

 

La tenue du match en sol pakistanais n'avait rien d'anodin: après que plusieurs équipes internationales eurent annulé leurs engagements au Pakistan au cours des derniers mois, l'équipe sri-lankaise a fait preuve de bravoure en acceptant de s'y rendre. En échange, Islamabad avait promis un important dispositif de sécurité.

Six policiers pakistanais, ainsi qu'un chauffeur d'autobus ont été tués lors de l'attentat qui a duré plus de 30 minutes, selon des témoins de la scène. Parmi les membres de l'équipe sri-lankaise, sept ont été blessés, mais leur vie est hors de danger. Ils ont été rapatriés quelques heures après le drame.

Les responsables de l'attentat ont pour leur part réussi à prendre la fuite à bord d'une voiture volée et de rickshaws, emblématiques de cette région du monde. Aucun groupe n'a revendiqué l'attentat. Cependant, dans leur course, les membres du commando ont laissé des traces.

La police pakistanaise a mis la main sur des quantités importantes de munitions, d'armes et d'équipements de communication. Le tout laisse croire que l'embuscade était le premier chapitre d'un plan beaucoup plus élaboré.

Bombay bis?

Les autorités pakistanaises n'ont pas tardé à relever les similarités entre l'attentat d'hier et le carnage perpétré à Bombay en novembre dernier par un petit groupe d'hommes qui tué plus de 160 personnes et tenu la capitale économique indienne en haleine pendant deux jours.

Comme à Bombay, les attaquants de Lahore se déplaçaient à pied. Comme à Bombay, ils ont pris comme cible une icône. «En touchant à quelque chose d'aussi symbolique qu'une équipe de cricket, ils se sont assuré un maximum d'impact sur la scène internationale. Il n'y a pas de meilleure manière de choquer toute la région (de l'Asie du Sud) que de s'en prendre à ce sport», estime Didier Chaudet, professeur à l'Institut d'étude politique de Paris (Science Po).

Chasse aux suspects

Dans les heures qui ont suivi l'attentat d'hier, le président du Pakistan, Asif Ali Zardari, a assuré qu'une enquête était déjà en cours pour «identifier les responsables et exposer leurs motifs». Plusieurs pistes sont étudiées, dont celle des Tigres tamouls, le groupe de rebelles qui est en plein combat contre l'armée sri-lankaise dans la jungle du nord-est du pays. Mais déjà hier, des indices pointaient vers les groupes de jihadistes islamistes qui donnent du fil à retordre à Islamabad depuis des années.

Des témoins, dont le chauffeur de l'autobus à bord duquel les membres de l'équipe sri-lankaise prenaient place, ont vu le visage barbu de certains des attaquants, âgés, selon eux, d'à peine 20 ans. Ce dernier détail n'est pas sans rappeler encore une fois l'attentat de Bombay. Le seul des hommes armés qui a été arrêté est un jeune Pakistanais de 21 ans.

«Ce qui s'est passé à Lahore peut être une manière pour les groupes radicaux de faire comprendre à la communauté internationale qu'Islamabad ne contrôle plus rien», suggère Didier Chaudet.

Professeur invité à l'Université de Californie à Berkeley, Olivier Roy note pour sa part qu'un élément idéologique peut se cacher derrière l'attentat d'hier.

«Dans les régions qu'ils contrôlent, les talibans ont interdit la musique. S'attaquer au cricket, c'est montrer une hostilité envers le sport. Surtout que celui-là est aussi un legs des Britanniques». Un coup de batte qui ne passe pas inaperçu.

Avec The Dawn, BBC, AFP, AP