Depuis des semaines, les émission de variété indiennes n'en ont que pour un sujet: le film Slumdog Millionaire (Le pouilleux millionnaire). Couronné aux Golden Globes, en lice 10 fois aux Oscars, le long métrage va mettre l'Inde sur la carte du cinéma mondial, prédisent journalistes et commentateurs. Mais dans les bidonvilles, ils sont nombreux à ne pas s'en réjouir.

Jeudi dernier, jour de la première indienne du film du réalisateur Danny Boyle, une quarantaine d'habitants de Dharavi, l'immense bidonville où le film a été tourné en partie, se sont rendus devant la chic maison de la star indienne du film, Anil Kapoor.

 

Ils n'y allaient pas pour déposer des colliers de fleurs devant la grille, comme nombre d'Indiens le font quotidiennement pour honorer leurs acteurs préférés, mais pour demander la modification immédiate du titre de l'oeuvre cinématographique. En français, «Slumdog» signifie «chien des bidonvilles». «Je ne suis pas un chien, je suis l'avenir de l'Inde», pouvait-on lire sur des pancartes que brandissaient des enfants. Ces derniers ressemblaient comme deux gouttes d'eau à ceux qui apparaissent dans le film qui raconte l'histoire d'un orphelin indien, issu des bas- fonds qui, contre toute attente, remporte le quiz télévisé Who Wants to Be a Millionaire?.

La star indienne a tenté de calmer le jeu, expliquant que le terme «slumdog» n'est pas offensant. «Il y a des noms bien pires pour les enfants des bidonvilles», a précisé M. Kapoor. Simon Beaufoy, le scénariste britannique qui a adapté pour l'écran le roman indien Q&A et choisi le titre du film, s'est lui aussi justifié. «J'ai inventé le mot slumdog. J'aimais l'idée. Je ne voulais pas offenser qui que ce soit.»

Ces explications n'ont pas suffi à calmer le jeu. La pauvreté est un sujet sensible en Inde où plus de 350 millions de personnes vivent avec moins de un dollar par jour, soit un Indien sur quatre. Lundi, dans l'État de Bihar, un des plus démunis de l'Inde, des centaines d'habitants des bidonvilles ont saccagé un théâtre de la ville de Patna, qui projetait le film. Hier, des gardes armés ont été postés devant plusieurs salles de cinéma de l'est du pays pour éviter les débordements.

Mardi, la contestation a aussi pris un tournant juridique. Un organisme de défense des droits des habitants des bidonvilles a déposé une poursuite contre les artisans du film, les accusant de diffamation. «Dire que les gens des bidonvilles sont des chiens, c'est une violation des droits de l'homme et de la dignité des gens pauvres» a dit aux médias indiens le porte-parole de l'organisation, Tateshwar Vishwakarma.

À l'autre extrémité du pays, une organisation du Gujarat a demandé à une cour d'interdire la projection du film jusqu'à ce que le titre soit modifié. Leurs doléances devraient être entendues cette semaine par la haute cour de l'État.

Ce n'est pas la première fois qu'un film soulève les passions en Inde. Notamment, les films de la réalisatrice indo-canadienne Deepa Metha, salués dans les festivals du monde entier, ont à deux reprises été la cible de violentes manifestations dans le pays de Gandhi.

Hindustan Times, India Today, The Times.