L'auto-école «Bonne chance» de Bombay porte bien son nom: pour son patron, Sohail Kappadia, on ne peut effectivement s'en remettre qu'à la Fortune pour rester en vie sur les routes d'Inde, les plus meurtrières au monde.

M. Kappadia en sait quelque chose. L'un de ses amis vient de se tuer en voiture. Pendant une leçon de conduite, un élève a pulvérisé un véhicule de son auto-école en l'encastrant dans une camionnette.

«Parfois, vous ne savez tout simplement pas si le type en face va freiner», raconte-t-il à l'AFP. «La présence d'esprit, c'est indispensable ici. La plupart des accidents sont dus à des comportements irréfléchis», lance, dépité, ce moniteur de conduite de 33 ans.

L'Inde, géant asiatique de 1,1 milliard d'habitants en pleine croissance économique, a décroché cette année le record mondial du nombre de morts sur les routes, représentant 10% des 1,2 million de décès par an dans le monde dans des accidents de la circulation, selon la Fédération routière internationale de Genève.

Le taux de mortalité sur la voirie indienne --en piteux état et datant de la la colonisation britannique-- est de 14 personnes pour 10.000 véhicules, soit sept fois plus que dans les pays riches, d'après la Banque mondiale.

L'institution prévoit qu'à la fin des années 2020 davantage d'Indiens mourront sur les routes que de maladies. La plupart des victimes seront des piétons.

Et on comprend facilement pourquoi.

A New Delhi, Bombay, Calcutta, Madras ou Bangalore, sur leurs grandes artères embouteillées, à chaque carrefour ou rond-point, dans les ruelles des quartiers résidentiels, le code de la route n'existe pas et une seule règle s'impose: passer le premier coûte que coûte, se faufiler à tout prix dans la circulation chaotique à grands coups de klaxons et d'appels de phares.

De luxueuses berlines allemandes et d'énormes 4X4 japonais côtoient des taxis bringuebalants, triporteurs, motocyclettes, vélos, camions et autobus pétaradants lancés à pleine vitesse sur des chaussées défoncées et envahies par des mendiants, vendeurs ambulants, charrettes à bras, vaches sacrées ou chiens errants.

La plupart des automobilistes rabattent les rétroviseurs de leurs voitures, ne bouclent pas les ceintures de sécurité, laissent leurs enfants gambader dans l'habitacle, conduisent d'une main et téléphonent de l'autre.

Mais cela ne fait pas peur à Shahik Arqam, un architecte de 24 ans, qui rêve de décrocher son permis de conduire. «C'est un peu dur au début, mais j'ai compris comment les autres conducteurs faisaient», dit-il, avant sa leçon à l'auto-école «Bonne chance» de Bombay.

Au volant d'une petite voiture rudimentaire marquée du «L» pour «Learner» (apprenti), à peine lâché sur les artères saturées de la mégalopole de 18 millions d'âmes, M. Arquam est copieusement insulté par un concert de klaxons parce qu'il roule trop lentement ou ne démarre pas assez vite au feu vert.

Jamais, en une heure de cours, un seul véhicule surgissant sur sa gauche ne lui a laissé la priorité.

Son moniteur, Mohsin Ali, prend les choses calmement. «Si vous suivez les règles de conduite, c'est très facile, même beaucoup plus simple à Bombay qu'à Calcutta et à Madras», assure-t-il.

La police de la capitale économique indienne commence en effet à faire la chasse aux infractions les plus grossières: vitesse, alcool, absence du port de la ceinture ou du casque. Le nombre d'accidents mortels à Bombay a quasiment été divisé par deux cette année par rapport à 2007.

Mais le mantra de la conduite en Inde est immuable, prévient M. Kappadia: «De bons freins, un bon klaxon et...Bonne chance!».