Des milliers de Vénézuéliens fuyant leur pays en crise tentaient vendredi d'atteindre la frontière péruvienne, à quelques heures d'un durcissement des conditions d'entrée dans ce pays, alors que l'Amérique latine tente de contenir la plus grande crise migratoire qu'ait connue la région.

Les Nations unies évaluent à 2,3 millions le nombre de personnes ayant préféré partir ces dernières années pour échapper à la misère au Venezuela, soit 7,5% de sa population de 30,6 millions, selon le dernier recensement.

Confronté à cet afflux, le Pérou va exiger des ressortissants vénézuéliens un passeport  à partir de samedi. Jusqu'à présent, une carte d'identité suffisait. L'Équateur, pays de transit pour nombre de ces migrants cherchant à se rendre au Pérou, au Chili ou en Argentine, a mis en place une mesure similaire samedi dernier.

«Je suis venu ici avec un sac sur le dos à travers la Colombie et l'Équateur, comme tous les Vénézuéliens», raconte à l'AFP Edgar Torres, professeur d'éducation physique de 22 ans originaire de Caracas, heureux d'être arrivé avant samedi à Tumbes, à la limite entre l'Équateur et le Pérou (nord).

À l'image de nombre de ses compatriotes qui font la queue devant ce centre d'accueil frontalier au milieu des plantations de bananes, il n'a ni passeport ni un sou en poche.

Le rythme des arrivées à la frontière péruvienne, jusqu'ici de 2500 à 3000 réfugiés par jour, selon les services d'immigration, devrait s'accélérer. Le Pérou, qui enregistre une croissance économique parmi les plus élevées de la région, s'attend à accueillir 100 000 réfugiés vénézuéliens dans les prochaines semaines, ce qui portera leur total à un demi-million.

Pénurie de papier

Dans cette zone au climat tropical à un millier de kilomètres de Lima, l'Église catholique distribue aux migrants leur premier repas chaud depuis plusieurs jours.

Nombre d'entre eux sont arrivés à pied. Partis du Venezuela début août, ils ont accéléré le pas pour atteindre la frontière avant ce week-end.

«Justement, je suis arrivé juste à temps pour pouvoir entrer», confie, soulagée, Angeli Vergara, une secrétaire de 22 ans. «Voilà deux ans que j'attends le passeport et on ne me l'a toujours pas remis», ajoute-t-elle.

La décision du Pérou et de l'Équateur d'exiger un passeport revient à fermer la porte au nez de nombre de Vénézuéliens, car obtenir un passeport dans ce pays est devenu un parcours du combattant en raison de la crise économique et de la pénurie généralisée, qui affecte aussi le papier servant à imprimer les documents officiels.

Côté équatorien, près de la gare de bus de Quito, Jackson Duran, 22 ans, est parti il y a une vingtaine de jours du Venezuela. Il y a laissé femme et enfants pour «trouver une meilleure vie». Au Pérou, des cousins l'attendent. «Ce qu'on veut, c'est y arriver avant qu'ils commencent à exiger le passeport».

Deux agences des Nations unies, le Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR) et l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), ont appelé jeudi les pays latino-américains à continuer d'accueillir les réfugiés vénézuéliens, dénonçant les nouvelles exigences aux frontières mises en place par Lima et Quito.

L'ONU inquiète

«Personne ne parle de fermer la frontière, il s'agit d'exercer un meilleur contrôle migratoire pour des raisons de sécurité. 80% des Vénézuéliens qui arrivent au Pérou ont leur passeport», s'est défendu le ministre péruvien de l'Intérieur Mauro Medina.

Les Vénézuéliens sont étranglés par la crise économique: l'inflation pourrait atteindre 1 000 000% fin 2018 selon le Fonds monétaire international, et le PIB devrait s'effondrer de 18%. Du coup, des millions de personnes ont préféré émigrer ces dernières années.

L'exode des Vénézuéliens, mais aussi des Nicaraguayens fuyant la crise politique, met toute la région sous tension, comme l'ont montré les violences du week-end dernier à la frontière brésilienne contre des migrants vénézuéliens.

Signe de l'inquiétude des autorités, l'Équateur a invité les ministres des Affaires étrangères de 13 États de la région, dont le Venezuela, à une réunion les 17 et 18 septembre sur ce sujet.

Pour protester contre «le manque de volonté» de Caracas de régler la crise migratoire, Quito a annoncé jeudi son retrait de l'Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA), une union régionale créée en 2004 à l'initiative du Venezuela et de Cuba.