Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté lundi à Managua, la capitale du Nicaragua, pour dénoncer la récente répression du mouvement de colère contre le projet de réforme des retraites, qui a fait 27 morts, en dépit de son retrait par le président Daniel Ortega.

Brandissant des milliers de drapeaux blancs et bleus, aux couleurs du pays, salariés, étudiants, paysans et entrepreneurs ont défilé dans les rues de la capitale à l'occasion d'une «Marche pour la paix et le dialogue».

La manifestation avait été organisée à l'appel de l'organisation patronale COSEP - pourtant alliée du président Daniel Ortega depuis son arrivée au pouvoir il y a 11 ans.

«Assassins !», ont crié les manifestants en passant devant les locaux de la police nationale, tandis que les noms de certaines des victimes de la récente répression étaient affichés sur des banderoles.

«Nous n'allons pas entamer un quelconque dialogue (avec le gouvernement) tant que tous les prisonniers ne sont pas libérés, tant que ne cesse la répression, et que tant que les conditions ne sont pas réunies pour dialoguer», a dit Michael Healy, président de l'Union des producteurs agricoles du Nicaragua.

L'appel à manifester avait été maintenu, bien que le chef de l'État eût annoncé dimanche qu'il retirait sa réforme des retraites. Celle-ci prévoyait d'une part d'augmenter les contributions sociales des salariés et des employeurs afin de réduire le déficit de la Sécurité sociale, et d'autre part de réduire de 5% le montant des pensions, sur recommandation du Fonds monétaire international (FMI).

La vice-présidente Rosario Murillo - qui est également l'épouse du président - avait annoncé un peu plus tôt lundi que les manifestants arrêtés ces derniers jours seraient libérés, sur demande de l'archevêque de Managua Leopoldo Brenes, «afin d'établir les bases du dialogue».

Elle a aussi indiqué qu'un policier était décédé dimanche lors des violences. Le Centre nicaraguayen des droits de l'homme (CENIDH) a relevé son bilan à 26 morts, dont un caméraman tué par balle en plein reportage, sans inclure ce policier. 

Contre le couple présidentiel

Le projet de réforme des retraites avait déclenché mercredi dernier une révolte des étudiants qui s'est rapidement propagée au reste de la population.

Ce mouvement de rébellion est assez inhabituel dans ce pays pauvre d'Amérique centrale, où l'armée exerce un fort contrôle de l'ordre public.

La persistance de la colère reflète un mécontentement plus général de la population, excédée par la détérioration de ses conditions de vie et par un gouvernement accusé de corruption.

Pour l'étudiant Clifford Ramirez il n'y a plus de retour en arrière possible: «Nous ne pouvons plus accepter ce gouvernement, nous manifestons pour que le couple Ortega-Murillo quitte le pouvoir».

Daniel Oretega, le «Comandante» de 72 ans, l'un des chefs de la guérilla ayant mené la révolution sandiniste en 1979, en est déjà à son quatrième mandat, au côté de sa femme, poétesse excentrique de 66 ans.

«Les manifestations (...) sont contre un gouvernement qui nie la liberté d'expression, la liberté de la presse et celle de manifester pacifiquement», a déclaré Clifford Ramirez, étudiant en sciences politiques de 26 ans qui faisait partie des premiers à manifester.

Alors que les manifestations ont dégénéré ce week-end, avec des saccages de commerces et bâtiments publics, le gouvernement a déployé les forces de l'ordre qui, selon les manifestants, ont utilisé des armes à feu.

Lundi, avant la manifestation, les rues de Managua étaient désertes, avec aucun bus en circulation et nombre d'entreprises signalant une faible affluence des salariés.

Dialogue? 

Le président Ortega a dénoncé la violence des manifestants, les comparant à des gangs criminels. Mais les États-Unis, l'Union européenne et le pape François ont surtout critiqué la force excessive utilisée par la police.

Par précaution, Washington a ordonné lundi l'évacuation du personnel de son ambassade à Managua, ainsi que de leurs familles.

«Nous exigeons du gouvernement nicaraguayen de cesser immédiatement l'attaque brutale contre les manifestants et la population civile», a lancé le CENIDH dans un communiqué conjoint avec la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH).

«Je ne vois les conditions pour aucun dialogue avec le gouvernement du Nicaragua», a estimé sur Twitter l'évêque adjoint de Managua, Silvio Baez.

«Il faut arrêter la répression, libérer les jeunes incarcérés, rétablir la transmission du Canal 100% Noticias (actuellement censuré) et discuter de la démocratisation du pays avec tous les secteurs», a-t-il ajouté.