Le Chili vire à droite après la large victoire du milliardaire conservateur Sebastian Piñera à la présidentielle, un changement de cap qui suscite l'enthousiasme des marchés mais aussi l'inquiétude sur l'avenir des réformes sociétales engagées par la socialiste Michelle Bachelet.

M. Piñera, qui avait déjà gouverné de 2010 à 2014, a obtenu 54,57% des voix contre 45,43% pour son adversaire, le socialiste Alejandro Guillier, 64 ans.

«Le triomphe de M. Piñera avec un tel écart surprend», relève le politologue Guillermo Holzmann, alors que le second tour s'annonçait très serré.

Mais «au final, (...) l'idée d'améliorer la situation dans une ambiance de croissance économique a dominé l'élection», explique l'économiste Arturo Alegria.

Le candidat de droite a su capter le mécontentement d'une partie de la société chilienne, réputée très conservatrice, et qui se sentait bousculée par les réformes progressistes de la socialiste Michelle Bachelet, dont l'adoption du mariage homosexuel et la dépénalisation de l'avortement.

Sa stature d'ancien président a aussi apparemment rassuré une partie des Chiliens. «Ce fut un vote très pragmatique. Ils ont voté pour celui qui leur offrait le plus de garanties», analyse le politologue, Guillermo Holzmann.

De son côté, M. Guillier, célèbre journaliste devenu sénateur, n'a pas réussi à attirer les votes de l'extrême gauche, dont la candidate Beatriz Sanchez, 46 ans, avait créé la surprise au premier tour en décrochant 20% des suffrages, devenant la troisième force politique du pays.

«Le Chili est sauvé!», ont crié dimanche soir un millier de partisans de l'homme d'affaires de 68 ans, dont la fortune est estimée à 2,7 milliards de dollars par Forbes, et qui a promis de faire entrer le Chili dans le club des pays développés d'ici 2025.

La cinquième économie de la région a déjà commencé à reprendre des couleurs: après quatre années de croissance au ralenti à 1,8% en moyenne, le PIB devrait grimper de 2,8% en 2018, selon la Commission économique de l'ONU pour l'Amérique latine.

«C'est la meilleure chose qui pouvait nous arriver. Avec Piñera, nous avons mieux vécu que maintenant et nous allons bien vivre à nouveau, en travaillant», s'est réjoui Mauricio Vega, un agent de sécurité de 43 ans.

Inquiétude 

Un enthousiasme perceptible à la Bourse de Santiago, où le principal indice, Ipsa, a ouvert lundi en hausse de 6,20%, à 5559,13 points.

«Notre gouvernement va encourager les investissements, la productivité, l'innovation, l'esprit d'entreprise (...) c'est ce que reflète la réaction très favorable des marchés», a déclaré lundi à la presse étrangère le président élu.

Le département d'État américain s'est dit mardi «impatient» de travailler avec la nouvelle administration.

Faute de majorité au Parlement, le nouveau président chilien devra cependant nouer des alliances pour gouverner. Les législatives, organisées lors du premier tour et pour la première fois avec un scrutin à la proportionnelle, ont laissé un paysage fragmenté dans les deux chambres.

Cette configuration devrait ralentir la mise en place du programme économique du nouveau président, qui prévoit la réduction des impôts sur les sociétés et l'assouplissement des régulations dans le secteur minier, selon l'analyste Edward Glossop de Capital Economics.

Cette victoire confirme néanmoins le virage à droite de la région, après l'arrivée au pouvoir de Mauricio Macri en Argentine, Michel Temer au Brésil, et Pedro Pablo Kuczynski au Pérou, marquant la fin d'un cycle pour la gauche latino-américaine.

Durant la campagne, les supporters de M. Piñera, qui agitaient le spectre d'une dérive vers l'extrême gauche en cas de victoire d'Alejandro Guillier, avaient rebaptisé le Chili «Chilezuela», en référence au Venezuela de Nicolas Maduro.

Face à l'inquiétude de la gauche sur l'avenir des réformes lancées par le gouvernement de Bachelet, M. Guillier, désormais à la tête de l'opposition, a promis de se battre pour défendre l'héritage de l'actuelle présidente.

Parmi les plus importantes figure celle instaurant la gratuité de l'éducation, encore à mi-chemin au Parlement.

Quelque 260 000 étudiants à faibles ressources peuvent actuellement étudier gratuitement à l'université. Mais une fois qu'ils auront terminé leurs études, s'en sera fini de la gratuité des études supérieures si cette loi n'est pas adoptée.

M. Piñera s'est engagé à ne pas revenir sur cet avantage mais estime que le Chili n'en a pas les moyens. Il propose en échange d'accroître le nombre de bourses mais seulement dans les établissements d'enseignement technique.

«Je ressens de la rage et de l'angoisse. Je suis très en colère car ils sont en train de réussir, la droite veut un peuple sans éducation», s'inquiète Maria Salomé, 71 ans, vendeuse ambulante. «C'est tellement plus facile pour nous emmener là où ils le souhaitent et vivre sur notre dos».