Le Venezuela se réveillait lundi plus divisé que jamais, au lendemain de l'élection dans le sang d'une toute puissante Assemblée constituante à la main du président Nicolas Maduro, et s'apprêtait à vivre de nouvelles manifestations de l'opposition.

En début de journée, le trafic semblait normal à Caracas, où l'on pouvait voir des restes des barricades de la veille.

Le scrutin a été marqué par des violences qui ont fait 10 morts, portant à plus de 120 le nombre total de personnes tuées en quatre mois de manifestations antigouvernementales. Il a été boycotté par l'opposition pour laquelle cette institution ne vise qu'à prolonger le pouvoir de M. Maduro dont le mandat s'achève en 2019.

La Constituante de 545 membres, qui doit diriger le pays pour une durée indéterminée, doit s'installer mercredi au siège du Parlement dominé depuis 2016 par l'opposition réunie au sein de la Table de l'unité démocratique (MUD), qui ne reconnaît pas la nouvelle Assemblée.

Cette dernière, qui se situe au-dessus de tous les pouvoirs, y compris du président, doit rédiger une nouvelle Constitution remplaçant celle promulguée en 1999 par le défunt président Hugo Chavez.

Triomphant, M. Maduro a qualifié d'historique le scrutin auquel ont participé selon les autorités plus de huit millions d'électeurs, soit 41,5 % du corps électoral. Plus que les 7,6 millions de voix réunies par l'opposition le 16 juillet, lors d'un référendum contre le projet de Constituante. Chaque camp conteste les chiffres de l'autre.

La nouvelle Assemblée « est née avec une grande légitimité populaire », a assuré M. Maduro lundi au petit matin devant ses partisans réunis sur la place Bolivar au centre de Caracas, « l'Assemblée constituante doit être consciente du pouvoir entre ses mains ».

Pour l'opposant Julio Borges, président du Parlement, le Venezuela se « réveille plus divisé et isolé du reste du monde ».

« Sérieux doutes »

Le résultat de l'élection a été accueilli par de nouveaux appels de l'opposition à manifester lundi et mercredi, ainsi que des condamnations internationales et la menace de nouvelles sanctions américaines « fortes et rapides ».

Washington a déjà infligé des sanctions financières à 13 anciens et actuels responsables gouvernementaux vénézuéliens.

L'Union européenne a fait part de sa préoccupation sur le « sort de la démocratie » au Venezuela, exprimant de « sérieux doutes quant à savoir si le résultat de l'élection [de la Constituante] peut être reconnu ».

Une dizaine de pays, des États-Unis à la Colombie, en passant par l'Argentine ou l'Espagne, ont annoncé qu'ils ne reconnaîtraient pas la Constituante.

Répondant sur le ton du défi à cet opprobre - « on s'en fiche de ce que dit Trump ! Ce qui nous importe c'est ce que dit le peuple du Venezuela ! » -, M. Maduro a souhaité que la Constituante lève l'immunité des parlementaires de l'opposition pour qu'ils soient jugés.

« Cela suffit avec le sabotage de l'Assemblée nationale, il faut mettre de l'ordre », a-t-il dit, menaçant également de « prendre le mandat » de Procureur général dont la titulaire actuelle Luisa Ortega, chaviste de longue date, a rompu avec le gouvernement pour en devenir un des principaux adversaires.

Dimanche, alors que les bureaux de vote étaient surveillés par l'armée, opposants et forces de l'ordre se sont affrontés à Caracas et dans d'autres villes lors de batailles rangées à coups de balles en caoutchouc ou gaz lacrymogènes contre jets de pierre et cocktails Molotov.

« Socialisme vénézuélien pas viable »

« Nous ne reconnaissons pas ce processus frauduleux, pour nous il est nul, il n'existe pas », a déclaré l'un des chefs de l'opposition Henrique Capriles.

Pour Paul Webster Hare, professeur de relations internationales à l'Université de Boston, aux États-Unis, et ancien ambassadeur britannique à Cuba, Maduro « n'a pas gagné ».

« Le socialisme vénézuélien n'est pas viable, à la différence de ce qui s'est passé à Cuba entre 1961 et 1990, qui pouvait compter sur un puissant allié, l'Union soviétique, qui lui fournissait des ressources en échange de sa fidélité », a déclaré M. Hare à l'AFP.

Le Venezuela, premier exportateur de pétrole d'Amérique latine, est au bord de l'effondrement économique et 80 % des Vénézuéliens désapprouvent la gestion du président, selon l'institut de sondages Datanalisis.

Soutenus par les tensions politiques dans le pays, les prix de l'or noir montaient légèrement lundi à Londres et marquaient le pas à New York, à la baisse.

« La question qui se pose est celle de la légitimé d'une Assemblée constituante élue avec 40 % de participation, selon le gouvernement. Elle sera contestée et des mobilisations vont suivre [...] Maduro reprend en mains une situation qui lui échappait et s'enfonce dans une voie autoritaire », anticipe Eduardo Rios Ludena, chercheur à Sciences Po, spécialiste du Venezuela.