La procureure générale du Venezuela, Luisa Ortega, est repartie à l'offensive contre le président socialiste Nicolas Maduro, confronté depuis deux mois à des manifestations, en contestant l'impartialité de juges nommés par son courant.

Quelques heures à peine après le rejet par la Cour suprême (TSJ) de son recours contre le projet d'Assemblée constituante, Mme Ortega a décoché lundi de nouvelles flèches: «Je suis allée à nouveau au TSJ pour déposer un recours contre la désignation de magistrats», a-t-elle annoncé dans un entretien à Union Radio.

Luisa Ortega conteste la nomination de 33 magistrats du TSJ désignés par le Parlement en décembre 2015, juste avant que celui-ci ne passe sous contrôle de l'opposition. Elle assure que ces juges, par «partialité», ont «accéléré la crise» dans le pays.

Le Parlement discutera mardi d'une procédure pour désigner de nouveaux magistrats du TSJ, tandis que l'opposition a lancé un nouvel appel à manifester mercredi.

C'est un nouveau défi lancé au président Maduro par la procureure générale de la Nation, auparavant considérée comme une alliée des chavistes (du nom de Hugo Chavez, président de 1999 à son décès en 2013) et désormais qualifiée par eux de «traîtresse».

Dans un pays où la quasi-totalité des institutions sont contrôlées par le chavisme, Mme Ortega - qui a aussi dénoncé lundi des menaces contre sa famille - a multiplié les interventions ces dernières semaines.

Elle a critiqué tour-à-tour la tentative du TSJ de s'arroger les pouvoirs du Parlement, la volonté du président de réformer la Constitution ou encore l'usage abusif de la force par l'armée lors des manifestations.

Pour Nicolas Maduro, confronté à un mouvement de colère populaire exigeant son départ et lors duquel 66 personnes ont été tuées depuis début avril, la procureure est devenue «la leader d'opinion des opposants» à l'assemblée constituante.

Lundi, le TSJ, régulièrement accusé par l'opposition de servir les intérêts de M. Maduro, a rejeté le recours de Mme Ortega contre ce projet de Constituante, qui représente selon elle un danger pour les droits de l'Homme et la démocratie.

Mme Ortega avait appelé les Vénézuéliens à signer eux aussi son recours pour exprimer leur rejet, mais les militaires ont bouclé dès vendredi les accès à la Cour suprême, empêchant les citoyens de se joindre à cet appel.

Graves pénuries 

Lundi, environ 200 partisans et opposants au gouvernement se sont rassemblés aux abords du TSJ. Accusations et coups ont été échangés.

«Ils ne veulent pas que le peuple manifeste contre la Constituante, qu'on voie la quantité de personnes qui sont contre», a confié une jeune manifestante, Maria Rodriguez.

Constitution en main, une chaviste vêtue de rouge haranguait les opposants : «Partez, la rue est au peuple, pas à la bourgeoisie, ici ce qui se passe c'est la révolution».

Des manifestants, encagoulés, ont lancé des pierres et des cocktails Molotov sur un bâtiment dépendant du TSJ dans le quartier de Chacao et ont incendié sa façade. Des dizaines d'entre eux ont saccagé une agence bancaire située dans le même bâtiment.

Des militaires et des policiers ont lancé des grenades lacrymogènes et tiré des plombs de chasse pour les disperser, tandis que les pompiers intervenaient pour contrôler l'incendie.

M. Maduro veut faire élire les 545 membres de la Constituante le 30 juillet.

Mais l'opposition y voit une manoeuvre pour s'accrocher au pouvoir en intégrant une majorité de ses soutiens au sein de cette Constituante.

Selon un sondage de Datanalisis, 85% des Vénézuéliens rejettent toute modification de la Constitution de 1999. Ils sont sept sur dix à exiger le départ du président Maduro.

Le rejet du recours de Mme Ortega «enlève tout doute (et confirme) l'absence de solutions judiciaires» à la crise, relevait un expert en droit constitutionnel, José Ignacio Hernandez.

Cette décision «reflète deux choses», selon Freddy Guevara, vice-président du Parlement, contrôlé par l'opposition: «Ils ont peur de la mobilisation du peuple et ils approfondissent les divisions au sein du chavisme», la procureure symbolisant une frange critique de ce courant.

Le président Maduro, dont le mandat court jusqu'à fin 2018, accuse, lui, les États-Unis de soutenir et financer les manifestations de l'opposition, en vue de fomenter un coup d'Etat.

Ce mouvement de colère populaire survient dans un contexte d'effondrement économique de ce pays pétrolier, ruiné par la chute des cours du brut, ce qui se traduit par de graves pénuries et une inflation galopante.

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Luisa Ortega