La liste des pays ayant fermé leurs portes à la viande du Brésil, secoué par un vaste scandale alimentaire, continuait de s'allonger mardi: après Hong Kong, un marché crucial, le Mexique et le Japon ont suspendu leurs importations.

Plus gros exportateur de viande au monde, le géant sud-américain, déjà plongé dans la pire crise de récession de son histoire, se retrouve ainsi atteint de plein fouet dans un des secteurs-clés de son économie.

L'affaire a éclaté lorsque la police brésilienne a découvert vendredi que des gros exportateurs de viandes avaient corrompu des inspecteurs des services d'hygiène pour certifier de la viande avariée comme étant propre à la consommation.

La viande brésilienne est exportée vers 150 pays, pour un total de 10 milliards de dollars en ce qui concerne le boeuf et le poulet.

Selon le Centre de la sécurité alimentaire de Hong Kong, «la qualité de la viande en provenance du Brésil est sujette à caution», motif invoqué pour suspendre temporairement les importations de viande congelée ou réfrigérée, ainsi que de volaille.

Les exportations de viande de boeuf vers Hong Kong ont rapporté 718 millions de dollars au Brésil en 2016, d'après les chiffres du gouvernement brésilien.

Pour ce qui est de la volaille, Hong Kong occupe le cinquième rang, avec des importations à hauteur de 357,2 millions de dollars.

Une défection attendue

Le Mexique et le Japon ont rejoint mardi soir la liste des pays ayant suspendu depuis dimanche leurs importations en provenance du Brésil.

Lundi, d'autres marchés importants ont tourné le dos au Brésil, y compris la Chine, deuxième acheteur de viande bovine et de poulet. En tout, une demi-douzaine de marchés ont annoncé des mesures.

La Corée du Sud a néanmoins décidé mardi de lever la suspension de distribution de volailles déjà importées, après avoir obtenu des autorités brésiliennes la confirmation qu'aucune viande avariée n'était entrée dans le pays.

L'Union européenne a quant à elle demandé «au Brésil de retirer immédiatement tous les établissements impliqués dans la fraude de la liste» des sociétés approuvées par l'UE pour l'exportation, selon Enrico Brivio, un porte-parole de la Commission européenne.

Sur 21 usines soupçonnées d'avoir commis des irrégularités, quatre ont une licence d'exportation vers l'UE.

Le principal syndicat européen d'agriculteurs Copa-Cogeca a saisi l'occasion pour appeler de nouveau à la prudence dans les négociations en cours entre l'UE et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) autour d'un accord de libre-échange.

La Russie, qui dépend largement de l'importation de viande brésilienne depuis qu'elle a décrété un embargo sur les produits américains et européens, a demandé des informations aux autorités sanitaires du Brésil.

La crise a pris une telle ampleur que le ministre de l'agriculture, Blairo Maggi, prévoyait déjà une telle défection lundi. «Nous nous attendons à ce que plus de 30 pays remettent en question le pays (comme fournisseur de viande) en raison de cette affaire», a-t-il expliqué lors d'une conférence de presse à Brasilia.

Quantités «insignifiantes»

Ce scandale, qui implique deux multinationales brésiliennes de l'agroalimentaire, JBS et BRF, «pourrait faire dérailler la reprise économique du pays», s'est inquiété le cabinet d'analyse Capital Economics, car «le Brésil fait face à une perte potentielle d'exportations d'environ 3,5 milliards de dollars, l'équivalent de 0,2% du PIB».

Au moins trente personnes ont été arrêtées et plusieurs usines de transformation de viande ont été fermées.

Selon le journal Folha de Sao Paulo, les 21 usines incriminées représentent pourtant seulement 1% de ces exportations.

Dans un discours prononcé mardi, le président Michel Temer a considéré les quantités «insignifiantes», rappelant que le Brésil dispose de 4383 usines de transformation de viande et que 184 lots de viande parmi les 860 000 commercialisés ont été visés.

Pour rassurer les pays importateurs, M.Temer a même invité dimanche plusieurs ambassadeurs à dîner dans un restaurant de viande grillée à la broche.

Ce que l'on sait du scandale de la viande avariée

(Eugenia LOGIURATTO, BRASILIA) - Présence de bactéries de type salmonelle, usage de substances cancérigènes et d'étiquettes falsifiées pour camoufler la viande avariée: voici ce que l'on sait du vaste scandale mis au jour au Brésil, premier exportateur mondial de boeuf et de volaille.

«Des fonctionnaires recevaient des pots-de-vin pour faciliter la production d'aliments avariés, en émettant des certificats sanitaires sans avoir effectué d'inspections», a indiqué la police fédérale en dévoilant vendredi ce réseau de commercialisation de viande impropre à la consommation, au terme de «la plus importante opération de son histoire».

Pour l'heure, 21 entrepôts frigorifiques sont visés par l'enquête. Trois d'entre eux ont déjà été suspendus par précaution et le ministère de l'Agriculture assure qu'il informera la population sur les produits concernés et ordonnera leur retrait des rayons s'ils ont déjà été commercialisés.

Le président Michel Temer a affirmé dimanche que «seuls six» de ces entrepôts ont réalisé des exportations au cours des 60 derniers jours.

Pour le ministre de l'Agriculture Blairo Maggi, l'alerte est exagérée car, promet-il, «99% des producteurs font les choses bien».

Des substances cancérigènes

Plusieurs petites entreprises du secteur frigorifique n'ont pas hésité à utiliser «des substances cancérigènes pour masquer l'aspect et l'odeur des produits avariés», a dénoncé le commissaire Mauricio Moscardi Grillo lors d'une conférence de presse à Curitiba (sud), où l'opération a été coordonnée.

Dans un entretien à TV Globo, l'inspecteur du ministère de l'Agriculture Daniel Gouveia Teixeira a indiqué qu'un entrepôt de Curitiba utilisait de l'acide sorbique, un «agent décontaminant qui se mélange avec les produits pour diminuer la contamination bactérienne et masquer les odeurs et autres caractéristiques de la viande pourrie».

Mais le ministère a souligné que les substances signalées comme «cancérigènes» sont en réalité des conservateurs qui, lorsqu'ils sont utilisés dans la limite des quantités maximales autorisées, «ne représentent pas de danger pour la santé des consommateurs».

De fausses étiquettes

Dans un autre entrepôt frigorifique, la police a dénoncé le changement d'étiquettes pour falsifier la validité de produits déjà périmés.

La justice a justement reproduit une conversation entre un agent et le propriétaire de l'établissement, ce dernier ne montrant «aucune surprise face au remplacement d'étiquettes de validité sur un chargement entier» de viande de porc ni «face à l'utilisation de viandes périmées depuis trois mois pour la production d'autres aliments».

Présence de salmonelle

Les enquêteurs ont également détecté la présence de bactéries de type salmonelle dans des produits de l'entreprise BRF qui ont été exportés.

Dans une conversation téléphonique interceptée par les autorités, un directeur du groupe évoque «la rétention de conteneurs de l'entreprise (en Italie, ndlr) avec des produits exportés vers l'Europe (...). Il affirme que dans au moins quatre d'entre eux, les autorités sanitaires auraient identifié des traces d'une variante de la bactérie connue populairement comme salmonelle», indique le rapport de la justice.

BRF s'est défendu dans un communiqué, assurant que «le type de salmonelle trouvé dans certains lots de ces quatre conteneurs est la "salmonelle Saint Paul", tolérée par la législation européenne» pour certains types de viandes. L'entreprise «n'a commis aucune irrégularité», affirme-t-elle.

Du carton? Un «malentendu»

Dans cette affaire, un élément a été démenti tant par le gouvernement que par BRF: non, du carton n'a pas été mélangé avec de la viande de poulet, comme ce qui avait été interprété à partir de l'écoute d'une conversation téléphonique.

«Il n'y a aucun type de carton dans les produits de BRF. Il y a eu un grand malentendu dans l'interprétation de l'enregistrement par la police fédérale», a assuré l'entreprise, ajoutant que l'employé qui s'exprime dans cette conversation «faisait référence aux emballages du produit et non à son contenu».

Le ministre de l'Agriculture, Blairo Maggi, a lui aussi affirmé que cette information était «folle».