Alléchées par le panneau « 30 % de réduction » dans la vitrine, une vingtaine de personnes patientent face au magasin de chaussures de Juan Vieira, à Caracas : mais ce dernier désespère, car c'est le gouvernement vénézuélien qui lui a imposé ces soldes, Noël oblige.

« À quoi ça me sert de vendre si je fais cadeau de mes produits ? », soupire-t-il.

Très impopulaire dans un contexte de grave crise économique, le président socialiste Nicolas Maduro a oublié temporairement son dégoût du consumérisme pour remonter le moral des habitants.

Au début du mois, une armée d'agents administratifs et de militaires a été déployée dans plus de 200 magasins de vêtements, chaussures et accessoires de Caracas, dont les propriétaires sont accusés par l'exécutif d'avoir gonflé leurs prix de 300 à 500 %, pour leur imposer des réductions.

Le gouvernement a aussi saisi 3,8 millions de jouets dans une entreprise, dénonçant des surfacturations de jusqu'à 34 000 %, pour les distribuer à des tarifs subventionnés.

« Notre président ouvrier nous a ordonné de garantir des prix justes au peuple et nous sommes en train de le faire. Ces tueurs de l'économie ne pourront pas nous priver d'un joyeux Noël », affirme William Contreras, directeur de la Super-intendance nationale pour la défense des droits socioéconomiques (SUNDDE).

« Il faut en profiter »

Dans la boutique de Juan, dans le centre historique de Caracas, les agents de la SUNDDE sont passés il y a dix jours pour apposer le panneau « -30 % » accompagné du tampon du gouvernement. La majorité des magasins du quartier doivent appliquer la même ristourne, équivalente à la marge maximale autorisée selon une loi de 2014.

Depuis, des soldats gardent l'entrée du magasin, ne laissant entrer que deux clients à la fois. Juan, lui, enrage : « C'est arbitraire, c'est du pur populisme ».

Ce commerçant de 54 ans raconte avoir montré aux agents de la SUNDDE que les prix sont fixés en sortie d'usine et qu'il n'y est donc pour rien. En vain.

« Si on continue à ce rythme, je n'aurai plus de chaussures ce mois-ci. Tout ça va me mener à la faillite et à la fermeture », se lamente Juan, qui avait déjà dit adieu en 2010 à son précédent magasin de chaussures, dont le bâtiment avait été exproprié par le gouvernement de l'ex-président Hugo Chavez.

Le malheur des commerçants fait le bonheur de nombreux clients, plus habitués à faire la queue pour acheter des aliments et médicaments difficilement trouvables.

« C'est la meilleure action du gouvernement cette année, parce que pour acheter une chemise il faut (habituellement) renoncer à manger », s'exclame Yaroski Mendoza, cuisinière de 19 ans venue faire les soldes avec son bébé dans les bras.

« Il faut en profiter, car les Vénézuéliens aiment porter de nouvelles tenues pour Noël ou le Nouvel An, pour se faire plaisir », commente Isaac Quintero, employé de bureau de 28 ans.

« Un écran de fumée »

Dans une boutique où les t-shirts sont vendus à des prix plus de deux fois inférieurs à la majorité des magasins, certains clients s'inquiètent pourtant.

« Ce magasin pratique des prix vraiment très bas, c'est presque donné. (Le gouvernement) le pousse à la faillite sans raison », critique Anis Rodriguez, femme au foyer de 50 ans.

L'activité du local, situé sur l'une des principales rues commerçantes du centre, est « détruite », confirme Mary, l'une des employées, qui ne donne pas son nom de famille par crainte de représailles.

De façon « très grossière », sans même regarder les documents des vêtements importés du Panama, les agents de la SUNDDE ont collé les affiches en affirmant que « les ordres venaient d'en haut », raconte-t-elle.

Cette pratique est « un écran de fumée, car, comme il n'y a rien dans le pays, cela fait distraction », assure Mary, qui craint de perdre son travail si son patron applique sa menace de fermer boutique à cause des réductions forcées.

Ce n'est pas la première fois que Nicolas Maduro, dont une majorité de Vénézuéliens souhaitent le départ, oblige les commerçants à instaurer des soldes.

En 2013, il avait imposé à une chaîne d'électroménager des réductions de jusqu'à 70 %. L'entreprise a survécu, mais un an plus tard certains rayons étaient encore vides sous l'effet des ventes frénétiques provoquées par l'opération.