Fidel et Raúl Castro ont uni leurs voix cette semaine pour faire passer un message sans équivoque: l'ouverture de Cuba à l'économie de marché se fera à un rythme modéré, en dépit des attentes nourries par le rapprochement avec les États-Unis.

Rarement réunis à la même tribune, les frères Castro, âgés de 89 et 84 ans, sont apparus ensemble en clôture du 7e congrès du Parti communiste de Cuba (PCC), dernière grand-messe du parti unique dirigée par la génération historique, atteinte par la limite d'âge.

Les deux frères, qui n'avaient plus été vus ensemble depuis trois ans, ont voulu afficher leur harmonie face aux Cubains un mois après la visite historique du président américain Barack Obama, qui avait appelé de ses voeux des réformes politiques et économiques sur l'île.

Visiblement ému, le père de la révolution cubaine a évoqué son décès éventuel et sa confiance dans la pérennité de son legs communiste, tandis que son cadet écartait tout retour au «capitalisme», tout en tentant de fédérer défenseurs de la continuité et partisans du changement autour de réformes contrôlées.

Car si les voix discordantes ne résonnent pas encore dans l'espace public cubain, l'émergence du secteur privé et l'ouverture aux capitaux étrangers initiée par Raúl Castro depuis son arrivée au pouvoir en 2008 préoccupe certains cercles du pouvoir, par intérêt ou idéologie.

Ces dernières années, ces réserves se sont matérialisées dans une résistance passive à divers échelons de l'appareil d'État, poussant Raúl Castro à tancer fréquemment «la bureaucratie» qui freine les réformes, et à multiplier les appels à «un changement de mentalité».

Ce congrès a permis de «ratifier le modèle de réforme économique graduelle, qui offre d'importants avantages au parti communiste», explique à l'AFP Arturo Lopez-Levy, politologue cubain de l'Université du Texas Rio Grande Valley, aux États-Unis.

Ce faisant, le président cubain «offre à l'élite politique suffisamment d'espace pour coopter les secteurs émergents (...) et être en mesure de revenir en arrière en cas d'actions menaçant la continuité du système de parti unique», ajoute l'expert.

La vieille garde comme garante de l'unité

En marge des débats, Raúl Castro a admis que «la reconnaissance de l'existence de la propriété privée avait généré des inquiétudes». Depuis quelques années, les Cubains peuvent acheter et vendre biens immobiliers et voitures, alors que le secteur privé connaît un essor non négligeable, générant un niveau de revenus jamais vu auparavant sur l'île.

En partie émancipé par les réformes engagées par Raúl Castro, le secteur non étatique emploie officiellement 30 % de la population active cubaine, soit environ 1,4 million de travailleurs.

«Nous entamerons la marche et perfectionnerons ce que nous devons perfectionner, avec une loyauté sans faille et en unissant nos forces», a exhorté Fidel Castro, pourtant discret jusqu'à présent sur l'ouverture économique.

Un appel à l'unité repris par son frère cadet, qui a assuré que «le rythme (des réformes) dépendrait du consensus que nous serons capables de forger à l'intérieur de notre société», tout en soulignant les différences entre son projet et le communisme de marché du Vietnam ou de la Chine.

Pour mener à bien l'ouverture graduelle d'une économie encore contrôlée à 80 % par l'État, le congrès du parti a renouvelé sa confiance à la vieille garde des ex-guérilleros octogénaires qui ont porté les castristes au pouvoir en 1959.

Derrière Raúl Castro, le numéro deux du PCC Ramon Machado Ventura (85 ans), considéré comme un des garants de l'orthodoxie socialiste, a été notamment reconduit pour cinq ans, un gage de continuité alors que le cadet des Castro doit quitter la présidence en 2018.

Le maintien de cette génération, certes forte «d'une autorité auprès du peuple» selon Raúl Castro, «va décevoir ceux qui ont été séduits par la visite d'Obama et qui ont pensé que des signes de modernité et de changement étaient en train d'apparaître à Cuba», observe Paul Webster Hare, professeur de relations internationales à l'Université de Boston, aux États-Unis.

«Beaucoup d'entre eux nourrissent désormais un appétit réveillé par l'entrepreneuriat et les contacts avec leurs familles aux États-Unis, et ces appétits ne seront pas faciles à réprimer» après le départ des Castro, prédit l'expert.