La gauche brésilienne devait mesurer ses forces dans la rue vendredi en soutien à Dilma Rousseff et à son prédécesseur Lula, en plein chaos politique aggravé par le lancement au parlement d'une procédure visant la destitution de la présidente.

Le Parti des travailleurs (PT, au pouvoir), la Centrale unique des travailleurs (CUT) et d'autres mouvements ont convoqué des manifestations dans plus de 30 villes,  cinq jours après celles contre Mme Rousseff ayant rassemblé trois millions de Brésiliens.

À Sao Paulo, la troupe de choc de la police militaire (PM), appuyée de deux blindés, a fait évacuer au jet d'eau vendredi matin les manifestants antigouvernementaux qui bloquaient depuis 39 heures un des principaux axes de la ville, l'Avenida Paulista.

Jeudi soir, la police était intervenue à l'aide de gaz lacrymogène et de bombes assourdissantes contre des rassemblements de milliers de personnes à Sao Paulo et Brasilia, devant la présidence et le Congrès.

«Nous allons manifester comme cela s'est fait en Ukraine. Nous ne sortirons pas d'ici jusqu'à ce que Dilma soit tombée», déclarait dans la soirée à l'AFP à Sao Paulo Cristiane Galvao, 44 ans, un des manifestants réclamant la «destitution immédiate» de la présidente.

Face au risque de confrontation, les organisateurs des marches progouvernementales ont souligné le «caractère pacifique» de leurs manifestations et appelé les forces de sécurité à «garantir le droit de tous» à s'exprimer.

«Les cris des putschistes ne vont pas me faire dévier de mon cap», a lancé jeudi Dilma Rousseff, pendant la cérémonie de prise de fonction gouvernementale de son prédécesseur (2003-2010) et mentor, Luiz Inacio Lula da Silva.

À peine intronisé chef de cabinet (quasi premier ministre), ce dernier a vu sa nomination suspendue par un juge de Brasilia, l'estimant susceptible de constituer un délit d'entrave à la justice de la part de la présidente, dans la mesure où Lula échappait ainsi à la menace d'un placement en détention provisoire dans l'enquête sur le scandale Petrobras, dans laquelle il est visé pour «corruption» et «blanchiment d'argent».

Un tribunal de Brasilia a annulé jeudi soir la suspension de l'entrée au gouvernement de Lula, mais un autre juge, de Rio de Janeiro, a ordonné en référé une suspension identique.

«Entrave à la justice»

La diffusion mercredi de l'écoute d'une conversation entre la présidente et Lula avait fait l'effet d'une bombe, déclenchant des manifestations d'indignation dans les rues. Dans cet enregistrement, Dilma Rousseff expliquait qu'elle allait lui faire rapidement parvenir son décret de nomination pour qu'il s'en serve «seulement en cas de nécessité», ce que beaucoup ont interprété comme une allusion à une arrestation.

L'entrée en fonction de Lula «peut impliquer une intervention indue et condamnable de M. Luiz Inacio Lula da Silva dans l'exercice par la police, le ministère public et le pouvoir judiciaire de leurs activités. Elle implique une intervention directe» de Dilma Rousseff dans le fonctionnement du pouvoir judiciaire, a estimé le juge dans son ordonnance.

Dilma Rousseff s'est insurgée contre les méthodes du juge fédéral Sergio Moro, chargé de l'enquête Petrobras, qui a rendu public l'enregistrement.

Lula, l'homme du miracle socio-économique brésilien des années 2000, attendu comme le Messie par un gouvernement au bord du naufrage, ne s'est pas exprimé.

À Brasilia,  la première des 15 sessions de la commission qui analysera la procédure de destitution s'est tenue vendredi. Le président de l'Assemblée nationale, Eduardo Cunha, lui même impliqué dans le scandale Petrobras, a indiqué que la décision sur la destitution de Dilma Roussef ou le classement de l'affaire pourrait sortir dans un mois.

Les députés avaient lancé la veille  la procédure de destitution en élisant une commission spéciale de 65 parlementaires, chargée de rédiger un rapport qui sera soumis à l'Assemblée plénière du Congrès des députés. Un vote des deux tiers (342 sur 513) serait nécessaire pour prononcer la mise en accusation de la présidente devant le Sénat, sinon la procédure serait enterrée.

En cas de mise en accusation, Dilma Rousseff serait provisoirement écartée de ses fonctions, pendant 180 jours au maximum. Il faudrait ensuite les deux tiers des sénateurs (54 sur 81) pour la destituer, faute de quoi elle reprendrait ses fonctions.

Dilma Rousseff dénonce depuis le début une tentative de «coup d'État» institutionnel d'une opposition n'acceptant pas sa défaite électorale de 2014.

Selon les derniers sondages, 60% des Brésiliens sont favorables à la destitution de Mme Rousseff.