Cadavres retrouvés dans le désert, parfois regroupés par dizaines, disparitions étranges de jeunes filles dans le centre-ville, avis de recherches placardés par centaines dans les rues, croix roses peintes sur les poteaux en mémoire des disparues... La ville de Ciudad Juárez, située à la frontière avec les États-Unis, reste marquée par les meurtres et disparitions de femmes. Or, ce drame n'a pas fait les manchettes en février, lorsque les projecteurs du monde entier se sont braqués sur la ville lors de la visite du pape François.

Les médias mexicains et internationaux s'y étaient intéressés dans les années 2000. Puis, le compteur des « féminicides », comme on dénomme ici les meurtres sexistes, a semblé s'arrêter de tourner lorsque la ville est devenue le théâtre d'un conflit sanglant entre cartels, de 2008 à 2012, se voyant octroyé le titre de « ville la plus violente au monde ». Pourtant, au même moment, le nombre de meurtres et de disparitions de femmes, et en particulier de jeunes filles, explosait.

« Mais le problème a été rendu invisible, noyé dans la violence généralisée », déplore Santiago González, avocat et membre de l'organisation civile Red Mesa de Mujeres, qui milite pour l'accès des victimes à la justice. 

« En 2009, 2010 ou 2011, alors que la violence était à son comble, le fait qu'une femme disparaissait n'était pas considéré comme une nouvelle. »

De 1993 à 2013, 1441 meurtres de femmes ont été commis à Ciudad Juárez, selon le centre universitaire Colegio de la Frontera Norte, qui se base sur des statistiques officielles. Les deux tiers de ces féminicides ont été perpétrés après 2008. Trop peu, au regard des 11 000 morts, victimes de règlements de compte et de fusillades qui gisaient sur la voie publique ou étaient pendues aux ponts de la ville, traumatisant irrémédiablement ses habitants.

Au même moment, durant ces cinq années noires, des centaines de femmes ont disparu. Leurs corps sont parfois retrouvés des années plus tard. Une centaine de dossiers de disparitions de jeunes filles restent ouverts au sein des instances judiciaires locales. Et le phénomène s'aggrave de jour en jour : six adolescentes de 13 à 16 ans ont disparu dans des circonstances inquiétantes durant les deux premiers mois de 2016. Ont-elles été capturées par les réseaux criminels de traite, dont l'existence a été démontrée, et qui ont contraint des dizaines de jeunes filles avant elles à se prostituer, avant de les liquider ?

Les dirigeants des réseaux de traite épargnés

Si le drame des féminicides touche le Mexique tout entier, les spécificités du drame de Ciudad Juárez sautent aux yeux, avec les affaires de Campo Algodonero et Arroyo Navajo. Dans ces deux endroits, des fosses clandestines ont été découvertes, contenant les corps de 8 et 24 jeunes filles, respectivement.

Les dernières fouilles ont été pratiquées en 2015 sur un deuxième site, en plein désert, à 80 kilomètres de la ville. Un procès qui s'est tenu l'an dernier contre six hommes a permis d'établir la responsabilité des Aztecas, groupe criminel lié au cartel local, dans ces disparitions. Mais les associations civiles qui défendent les mères de victimes affirment que la justice n'a pas atteint les hauts responsables de ce réseau de traite ni les autorités qui les protègent.

« Le principal facteur qui permet aux féminicides et disparitions de femmes de perdurer, c'est la corruption », explique Santiago González, qui estime que les autorités devraient être capables de retrouver plus rapidement les filles kidnappées. « Si le réseau n'est pas démantelé, les féminicides continueront. »

À Ciudad Juárez, on entend souvent les habitants affirmer que l'immense désert alentour est rempli de cadavres.

Le combat d'une mère en quête de justice

Guadalupe Pérez Montes, 16 ans, a disparu du centre-ville de Ciudad Juárez en 2009, alors qu'elle allait acheter des chaussures. Sa mère, Susana Montes, fustige l'absence d'enquête de la part des autorités et l'impossibilité d'accéder à la justice : « On m'a d'abord dit qu'il n'y avait aucune piste, aucun moyen d'enquêter, alors qu'il y a eu des témoins de son enlèvement. Puis on m'a rendu des restes, retrouvés à Arroyo Navajo, mais seule la tête était de ma fille, alors que les ossements appartenaient à un autre corps ! Aujourd'hui, j'ai perdu toute confiance dans les autorités. Elles ne s'attaquent pas à ces réseaux criminels. Alors, je me demande : qui sera la suivante ? »