Ils ont tué les hommes et pris les femmes comme esclaves. Contraintes à exécuter des tâches ménagères dans la base militaire, elles étaient aussi violées à répétition. Plus de 30 ans après les faits, la justice guatémaltèque s'attaque aux événements survenus à Sepur Zarco. Une première mondiale à laquelle a contribué l'organisation Avocats sans frontières Canada.

Le procès de deux anciens militaires s'est ouvert lundi à Guatemala, capitale du pays éponyme, une cause qui suscite l'attention à l'étranger, puisque c'est la première fois qu'un tribunal national se penche sur un cas d'esclavage sexuel dans un contexte de conflit armé.

Esteelmer Francisco Reyes Girón, ancien lieutenant-colonel aujourd'hui âgé de 59 ans, et Heriberto Valdez Asig, maintenant âgé de 74 ans et qui était auxiliaire militaire à l'époque des faits, sont accusés de violences sexuelles, d'esclavage sexuel, d'esclavage domestique, de traitements cruels, inhumains et dégradants, de disparitions forcées et de meurtre.

La première journée d'audience «a été très mouvementée», a expliqué à La Presse Me Marie-Audrey Girard, conseillère juridique au Guatemala pour Avocats sans frontières Canada (ASFC), qui a fourni «un appui juridique» aux organisations représentant les victimes lors de la préparation du procès.

Les familles des accusés se sont fait entendre, et «la défense a martelé que la juge n'était pas compétente pour entendre cette cause», rapporte l'avocate québécoise.

Le procès est présidé par la juge Jazmín Barrios, la magistrate qui avait déclaré en 2013 l'ancien dictateur Efraín Ríos Montt coupable de crimes de guerre et de génocide - un jugement rapidement annulé par la Cour constitutionnelle, qui a ordonné la tenue d'un nouveau procès, qui n'a pas encore commencé.

BASE MILITAIRE DE «DÉTENTE»

C'est d'ailleurs sous la dictature d'Efraín Ríos Montt qu'ont commencé les événements de Sepur Zarco, en 1982, alors que la guerre civile déchirait le Guatemala depuis une vingtaine d'années, opposant forces gouvernementales et guérilla communiste.

L'armée avait, dans cette région de l'est du pays où vit une population principalement autochtone, une base militaire devant servir de lieu de repos et de détente.

Rapidement, 15 paysans disparaissent, puis leurs femmes sont enlevées et amenées à la base militaire, où elles seront forcées de préparer les repas et de laver les uniformes durant des «quarts de travail» au cours desquels elles seront également violées à répétition, parfois devant leurs enfants, parfois par plusieurs militaires à la fois.

Seules quatre femmes ont réussi à échapper aux militaires. Elles se sont réfugiées dans les montagnes environnantes, où elles se sont terrées durant des années, sans abri ni nourriture, voyant certains de leurs enfants mourir de faim ou de maladies.

«À l'époque, c'était su qu'il y avait ce genre de violences sexuelles», rappelle Jean-François Mayer, professeur au département de science politique de l'Université Concordia.

«C'était une façon de semer la terreur auprès des populations, particulièrement autochtones», que l'État accusait de collaborer avec les guérilleros, poursuit-il.

Au cours des 40 jours d'audience qui sont prévus, 35 témoignages doivent être entendus, dont ceux des 11 femmes qui ont été faites esclaves sexuelles.

PHOTO JOHAN ORDONEZ, AFP

Heriberto Valdez Asig, ancien auxiliaire militaire, 74 ans.

PHOTO JOHAN ORDONEZ, AFP

Esteelmer Francisco Reyes Girón, ancien lieutenant-colonel, 59 ans.

«Ce pourquoi ce procès-là est tellement important, c'est parce qu'on brise le silence [...] et on espère que ça va amener d'autres femmes à vouloir témoigner», affirme Me Marie-Audrey Girard, qui croit à l'existence d'autres cas similaires au Guatemala et ailleurs en Amérique latine.

Jean-François Mayer abonde dans le même sens, estimant que le procès Sepur Zarco est un «cas patent» qui met en lumière le recours aux violences sexuelles comme arme de guerre au Guatemala, ajoutant qu'«il reste maintenant à en déterminer l'échelle».

Sources: Avocats sans frontières Canada