Quelques heures avant de s'exprimer pour la première fois devant un parlement hostile tenu par les antichavistes, le président du Venezuela Nicolas Maduro a décrété vendredi l'état d'« urgence économique » pour 60 jours, augurant d'un nouveau bras de fer avec l'opposition dans un pays en pleine crise économique.

La Banque centrale du Venezuela, qui n'avait pas donné de chiffres depuis décembre 2014, a annoncé vendredi que le pays avait enregistré entre janvier et septembre 2015 une inflation de 108,7 %, parmi les plus élevées de la planète, et une contraction du PIB de 4,5 % pour la même période.

Comme chaque année au mois de janvier, conformément à la Constitution, le chef de l'État s'adresse à l'Assemblée nationale pour s'expliquer sur sa politique.

Il devrait revenir sur l'application de « l'état d'urgence économique » décrété pour 60 jours vendredi.

Parmi les mesures de ce décret, expliquées par le nouveau ministre de l'Économie Luis Salas, figurent l'utilisation par le gouvernement des moyens des entreprises privées (transport, distribution) pour « garantir l'accès » aux aliments, médicaments et biens de première nécessité et la limitation de l'importation et l'exportation de la devise locale (bolivar).

Sont également prévus la « hausse des niveaux de production des entreprises privées et publiques » et que le président puisse « dicter d'autres mesures d'ordre social, économique ou politique adaptées aux circonstances ».

Pour la première fois depuis 1999 et l'arrivée au pouvoir de Hugo Chavez - mort en 2013 -, Maduro trouvera devant lui un parlement hostile dominé par les antichavistes qui se sont donné six mois pour le pousser vers la sortie. Son intervention était prévue vers 21 h 30 GMT.

Réunie sous le nom de Table de l'unité démocratique (MUD), l'opposition a remporté une écrasante victoire aux législatives du 6 décembre, obtenant 112 sièges sur 167. Pénuries au quotidien et l'inflation galopante ont suscité un mécontentement populaire qui a profité à l'opposition.

« Nous sommes persuadés que la crise ne peut pas être surmontée avec ce gouvernement », estime de son côté un des leaders de l'opposition, le président de l'Assemblée Henry Ramos Allup.

Choc de pouvoirs

Le Venezuela, qui dispose des plus grandes réserves de pétrole du monde, a vu son économie s'effondrer ces derniers mois, au même rythme que les cours du brut, actuellement sous les 30 dollars pour le Brent.

Malgré des revenus liés au pétrole de plus de 380 milliards de dollars depuis 1999, Hugo Chavez et son successeur n'ont pas été en mesure de juguler la hausse des prix, ni de sortir le Venezuela de sa dépendance aux pétro-dollars, qui représentent 96 % de ses revenus.

Crise institutionnelle, Maduro défié par l'opposition

S'ajoutant à la crise économique, un bras de fer politique s'est engagé depuis la fin d'année entre l'opposition et les dirigeants chavistes. La situation a viré à la crise institutionnelle depuis que, le 5 janvier, la nouvelle assemblée élue a pris ses fonctions.

L'opposition vénézuélienne, désormais aux manettes à l'assemblée, a en effet, deux jours plus tard, défié le président Maduro en investissant trois de ses députés, pourtant suspendus par la Cour suprême de justice (TSJ).

Ces trois parlementaires lui permettaient de revendiquer la majorité des deux tiers des sièges, synonyme de larges prérogatives.

En réaction, le TSJ avait annoncé que toutes les décisions du Parlement monocaméral seraient invalidées tant que ceux-ci demeureraient investis, paralysant le pays.

Face à cette situation de blocage, les antichavistes ont fait mercredi un geste de compromis en « sacrifiant » ces trois élus, ouvrant la voie à une sortie de crise.

En réponse, le TSJ a levé jeudi la sanction qui frappait le pouvoir législatif, permettant au président Maduro d'intervenir devant les députés.

Pour redresser l'économie, les experts indépendants recommandent d'unifier les trois taux de change officiels (sans parler du marché noir, où le taux est 125 fois supérieur), supprimer le contrôle des prix, augmenter les tarifs de l'essence, actuellement très bas, encourager l'investissement privé et réduire les dépenses publiques.

« Ce gouvernement est imprévisible. Le président doit faire des ajustements mais pas de manière isolée, prendre des décisions concernant le déficit de 22 % (du PIB, ndlr). Cette année, la contraction économique devrait tourner autour de 6,8 % et la situation pourrait empirer », a mis en garde l'économiste José Casique.