Une interview du trafiquant de drogue Joaquin «El Chapo» Guzman par Sean Penn a déclenché dimanche une vague de réactions politiques aux États-Unis comme au Mexique, qui souhaite entendre l'acteur, et des commentaires parfois acerbes dans les médias et sur les réseaux sociaux.

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Une source du gouvernement fédéral a indiqué dimanche à l'AFP que le Mexique voulait entendre Sean Penn et l'actrice mexicaine Kate del Castillo au sujet de leur rencontre secrète en octobre dernier avec le chef de cartel.

«C'est exact, bien sûr, (nous voulons les entendre) afin de déterminer les responsabilités» de chacun, a indiqué ce responsable sous couvert d'anonymat, sans toutefois fournir de date éventuelle pour ces auditions.

Le secrétaire général de la Maison-Blanche Denis McDonough a déclaré sur la chaîne de télévision CNN qu'elle posait «beaucoup d'intéressantes questions» concernant l'acteur oscarisé «et les autres personnes impliquées dans cette prétendue interview».

La rencontre a déclenché de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux, tandis que le candidat républicain à l'élection présidentielle américaine Marco Rubio l'a qualifiée de «grotesque».

Un journaliste peut interviewer un trafiquant de drogue, or «ce ne sont pas des journalistes», a ajouté une autre source du gouvernement mexicain.

Le magazine américain Rolling Stone a publié samedi l'interview, relue par le narcotrafiquant avant diffusion, et accompagnée d'une photo prise le 2 octobre de la poignée de mains des deux hommes, sur laquelle Guzman apparaît, moustachu et portant une chemise en soie.

Interrogé dimanche par l'AFP, l'un des plus grands avocats américains du droit de la presse excluait cependant toute possibilité de poursuite pénale contre l'acteur.

Le «scoop» de Sean Penn a également déclenché des commentaires dans les médias, dont certains s'interrogeaient sur l'aspect éthique d'une telle entrevue.

Le rédacteur en chef du Washington Post, Marty Baron, a tweeté un reportage de décembre sur les menaces qui pèsent sur les journalistes mexicains avec ce commentaire: «Bon moment pour se rappeler ce qui arrive aux vrais journalistes qui couvrent les cartels de drogue».



Sous-marins, avions, bateaux 

«El Chapo» a accueilli Sean Penn en un lieu isolé dans la jungle en l'appelant «compadre» (compagnon) et en lui faisant une grande accolade. La rencontre a duré sept heures.

«Je fournis plus d'héroïne, de méthamphétamines, de cocaïne et de marijuana que n'importe qui dans le monde», explique Guzman dans une surprenante confidence entre deux gorgées de tequila.

«J'ai une flotte de sous-marins, d'avions, de camions et de bateaux», ajoute-t-il au cours de cet entretien.

Le gouvernement mexicain «a eu connaissance de cette rencontre», ce qui a aidé à capturer vendredi le trafiquant, a déclaré samedi à l'AFP une source gouvernementale sous couvert d'anonymat.

La procureure générale mexicaine Arely Gomez avait déclaré vendredi que Guzman avait été en contact avec des acteurs et des producteurs dans l'optique de réaliser un «biopic» sur sa vie, ajoutant que ces échanges avaient permis de le localiser.

Dans une autre vidéo diffusée par Rolling Stone, le trafiquant apparaît cette fois sans moustache, expliquant qu'il s'est tourné vers le trafic de drogue à l'âge de 15 ans parce qu'«il n'y avait pas de travail».

«Malheureusement, j'ai grandi dans un endroit où il n'y avait, et il n'y a pas d'autre façon de survivre», affirme Guzman.

Interrogé sur sa responsabilité face à l'ampleur de la toxicomanie dans le monde, il répond : «C'est faux. Le jour où je n'existerai plus, cela ne réduira pas le trafic de drogue».

Début du processus formel d'extradition

Quelques heures avant la publication de l'interview de Rolling Stone, le gouvernement mexicain avait annoncé samedi qu'il était disposé à entamer un processus d'extradition du baron de la drogue vers les Etats-Unis.

Auparavant, le président mexicain Enrique Peña Nieto s'était refusé à toute extradition de Guzman. Mais l'évasion rocambolesque du trafiquant en juillet dernier a porté un coup très dur à la crédibilité des autorités mexicaines et a changé la donne.

Le Parquet du Mexique a annoncé que le processus formel devant mener à l'extradition de Guzman avait débuté dimanche.

Des représentants d'Interpol Mexique ont délivré à l'intérieur de la prison d'Altiplano, l'établissement de haute sécurité proche de Mexico où Guzman est détenu, «deux mandats d'arrêt aux fins d'extradition», indique un communiqué du Parquet.

Les autorités judiciaires mexicaines ont d'ailleurs annoncé qu'elles fourniraient «des éléments» pour combattre toute stratégie de la défense de Guzman en vue de s'opposer à son extradition.

L'un des avocats du trafiquant, Juan Pablo Badillo, s'est engagé à porter le cas jusqu'à la Cour suprême s'il le faut. «Il ne devrait pas être extradé, car le Mexique a une Constitution juste», a dit l'avocat aux journalistes.

La traque d'«El Chapo» s'est achevée vendredi dans la ville côtière mexicaine de Los Mochis, dans l'Etat de Sinaloa, sa région natale, lors d'un raid de la Marine mexicaine au cours duquel cinq de ses hommes de main ont été tués et un militaire blessé.

Arrêté alors qu'il tentait de fuir, Guzman a été transféré à la prison d'Altiplano. C'est de là qu'il s'était évadé le 11 juillet par un tunnel de 1,5 kilomètre creusé sous la prison et qui partait de la douche de sa cellule.