Craignant que Washington ne révise sa politique migratoire permissive à leur égard, des milliers de Cubains ont entrepris à l'automne un difficile voyage vers le Nord... en passant par le Sud. Ils souhaitaient fouler le sol américain pour obtenir la résidence permanente avant qu'il ne soit trop tard mais le périple s'est avéré plus difficile que prévu.

Des milliers de Cubains qui croupissent dans des refuges au Costa Rica depuis plusieurs semaines devraient bientôt pouvoir reprendre leur route vers le Nord en vue d'atteindre les États-Unis.

Le gouvernement de San Jose a annoncé lundi, sans donner de date précise, qu'un premier avion serait affrété sous peu pour transporter 180 migrants au Salvador en « sautant » le Nicaragua, qui bloque leur passage par voie terrestre.

Ils pourront ensuite poursuivre leur périple en autobus à travers le Guatemala et le Mexique jusqu'à la frontière américaine et réclamer la résidence permanente. Les familles avec enfants seront d'abord privilégiées.

Le ministre costaricain des Affaires étrangères, Manuel Gonzalez, a indiqué que l'organisation de ce projet-pilote se faisait discrètement de manière à ne pas exacerber les attentes des migrants.

Il a précisé que d'autres vols suivraient rapidement pour transférer l'ensemble des quelque 8000 ressortissants cubains pris dans le pays si la première partie de l'opération se déroule comme prévu. « C'est un engrenage délicat », a-t-il déclaré.

Plusieurs pays de la région avaient annoncé la semaine dernière, à l'issue d'une réunion d'urgence, qu'un « pont aérien » serait aménagé afin de débloquer la situation.

CONSÉQUENCE IMPRÉVUE

La situation des migrants est une conséquence imprévue du rapprochement diplomatique annoncé à la fin du mois de décembre 2014 par les États-Unis et Cuba.

Ce développement historique a été paradoxalement reçu comme un signal inquiétant par nombre de ressortissants du petit pays des Caraïbes qui craignent de voir Washington réviser la politique migratoire existante envers les Cubains.

Mise en place dans les années 60, elle prévoit que les Cubains qui sont interceptés en mer par les forces américaines soient renvoyés vers leur pays. Ceux qui réussissent par contre à se rendre en sol américain peuvent obtenir la résidence permanente à l'intérieur d'un an.

Ce traitement de faveur a été instauré par Washington à l'époque afin de déstabiliser le régime castriste. Il fait saliver nombre de ressortissants latino-américains moins chanceux qui sont contraints de migrer illégalement à leurs risques et périls vers le Nord sans avoir l'assurance d'être accueillis à leur arrivée.

Bien que Washington dise n'avoir aucune intention de réviser son approche, plusieurs Cubains sont sceptiques et ont décidé de tout laisser derrière afin de poursuivre leur rêve américain avant qu'il ne soit « trop tard ». Il s'agit du plus important mouvement de départ à toucher le pays depuis l'exode des « balseros » en 1994.

L'IMPASSE

Des milliers d'entre eux ont pris l'avion à l'automne pour se rendre en Équateur, qui ne demandait pas de visa. Ils ont ensuite entrepris de remonter vers le nord en passant par la Colombie, le Panama et le Costa Rica.

Le régime nicaraguéen, proche du gouvernement cubain, a annoncé en novembre qu'il ne laisserait pas passer les Cubains sur son territoire, bloquant leur progression. La crise humanitaire suscitée par la décision a même été dénoncée par le pape François avant l'annonce de l'aménagement projeté d'un pont aérien.

Le gouvernement costaricain a déclaré que les migrants devraient payer pour le transport aérien, la nourriture et les visas de passage, sans préciser ce qu'il adviendrait de ceux qui n'ont pas les moyens de le faire.

San Jose a prévenu que la mesure ne s'appliquait qu'à ceux qui sont déjà dans le pays. Il a fortement découragé d'autres ressortissants cubains de tenter l'aventure.

Le régime castriste, de son côté, voit d'un mauvais oeil cet exode et presse Washington de réviser sa politique d'immigration pour cesser de faire pression sur le pays.

Graciela Ducatanzeiler, une spécialiste de l'Amérique latine rattachée à l'Université de Montréal, ne s'étonne pas « du tout » que nombre de Cubains tentent de migrer actuellement.

Le rapprochement diplomatique amorcé avec les États-Unis est un développement « très important » mais il n'a pas véritablement altéré, pour l'heure, la donne économique et politique sur l'île.

L'embargo américain demeure en place et ne sera sans doute pas levé avant la prochaine élection aux États-Unis, s'il est levé.

Le Venezuela, qui soutenait financièrement Cuba, notamment par des envois de pétrole, vit parallèlement une crise économique majeure et ne peut plus assurer l'aide prodiguée par le passé, note Mme Ducatanzeiler.

La situation en matière de droits de l'homme du pays demeure par ailleurs problématique comme en témoigne l'arrestation récente de cinq opposants cubains qui avaient été libérés, fin 2014, à la demande des États-Unis.

La Commission cubaine des droits de l'homme (CCDH), qui est tolérée par les autorités, affirme dans un rapport cité hier par l'AFP que plus de 8500 personnes ont été arrêtées en 2015 pour des motifs politiques et détenues, généralement pour quelques heures. Cuba affirme de son côté qu'il ne détient aucun prisonnier politique.

Selon la CCDH, cette « répression » sape les espoirs suscités par le rapprochement avec les États-Unis. Et alimente, du même coup, l'exode en cours.