L'opposition vénézuélienne affichait dimanche soir son optimisme, pensant avoir remporté pour la première fois en 16 ans la majorité parlementaire, au terme d'un scrutin marqué par l'exaspération populaire face à la crise économique ayant vidé les supermarchés.

«Les résultats sont ceux que nous attendions! Le Venezuela a gagné!», s'est exclamé sur Twitter l'ex-candidat à la présidentielle Henrique Capriles, leader de l'aile modérée de la Table de l'unité démocratique (MUD), vaste coalition d'opposition qui était largement favorite.

Dans l'attente des résultats officiels, non connus à 22h30, plusieurs autres figures de la MUD anticipaient la victoire.

Mais même si l'opposition devient majoritaire au Parlement, elle devra lutter pour exercer un contre-pouvoir face au chavisme (du nom de l'ex-président Hugo Chavez, décédé en 2013) et proposer des solutions concrètes à la crise, au-delà de ses divisions entre modérés et radicaux.

Malgré les craintes de violence, la journée électorale pour désigner les 167 membres du Parlement monocaméral s'est déroulée dans le calme et avec une «participation très élevée», selon les autorités électorales.

Elle s'est un peu tendue à la fermeture des bureaux de vote à 19h00, une heure après l'horaire prévu pour permettre aux derniers arrivés de s'exprimer: une décision immédiatement critiquée par l'opposition, y voyant une tentative désespérée du gouvernement pour mobiliser ses troupes.

Dans ce pays aux plus importantes réserves pétrolières de la planète, la chute des cours du brut génère des pénuries au quotidien et une inflation galopante (200% selon les économistes), sources de mécontentement populaire.

Mais le découpage électoral, favorable au chavisme, ne pourrait assurer à la MUD qu'une majorité simple, suffisante pour amnistier les 75 prisonniers politiques qu'elle recense, mais pas assez large pour organiser un référendum révocatoire contre le président Nicolas Maduro, 53 ans.

Et ce dernier peut limiter les pouvoirs du Parlement s'il change de majorité, au risque d'entraîner de fortes protestations.

Malgré le triomphe annoncé de l'opposition, «un grand changement de politique est improbable», résume Edward Glossop, analyste de Capital Economics. Diego Moya-Ocampos, expert du cabinet IHS, prédit «une paralysie politique, une aggravation des pénuries d'aliments et de biens et une instabilité gouvernementale».

«Contre-poids» face au chavisme

Une victoire de la MUD marquerait toutefois un tournant historique depuis l'arrivée au pouvoir du chavisme en 1999.

«Même s'il s'agit d'élections législatives, elles sont très importantes», souligne l'analyste vénézuélien Nicmer Evans : «elles entraîneront une recomposition des forces politiques et permettront que la volonté de sanction (pour le gouvernement) s'exprime».

Pour le politologue John Magdaleno, le scrutin peut instaurer un «contre-poids» dans un État dont les pouvoirs «sont totalement contrôlés» par le chavisme.

Dans l'un des pays les plus violents au monde, marqué en 2014 par des manifestations ayant fait officiellement 43 morts, les risques de troubles sont élevés.

«Ce que diront les autorités électorales sera parole sainte», a promis Nicolas Maduro, même s'il a refusé toute mission d'observation internationale du scrutin.

Devant un bureau de vote de Chacao, quartier de l'est de Caracas, Filros Guzman, employé de restauration rapide de 24 ans, expliquait qu'il votait auparavant pour le Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV), au pouvoir, car il «aimai(t) son idéologie: le socialisme, une société égalitaire, sans exploitation». «J'ai changé d'avis à cause des problèmes de vie quotidienne. On ne peut pas voter pour le gouvernement quand on a du mal à survivre».

Non loin de là, William Carrasco, 55 ans, racontait que chaque vendredi, il va d'un supermarché à l'autre, de 7h00 à 15h00, en quête de produits aussi basiques que du riz ou du papier toilette.

Une pénurie créée artificiellement par les commerçants selon le président Maduro, qui a estimé dimanche que «sans aucun doute, la reprise économique, la lutte contre la guerre économique (...) et les spéculateurs, ceux qui cachent les produits, seront la principale tâche de la nouvelle Assemblée», qui prendra ses fonctions le 5 janvier.

Si sa popularité a fondu à 22% selon l'institut Datanalisis, le chavisme garde des partisans parmi les classes populaires, reconnaissantes pour ses programmes sociaux.

«Depuis 1998 j'ai toujours voté pour Hugo Chavez et ses candidats», témoignait Gilberto Marcano, mécanicien de 73 ans, au bureau de vote de Lidice, quartier du nord de Caracas. «Il n'y a pas de retour en arrière possible, c'est la révolution et c'est tout!».