Le président de la Chambre des députés du Brésil Eduardo Cunha, a lancé mercredi une procédure de destitution contre la présidente de gauche Dilma Rousseff, 67 ans, qui s'est déclarée «indignée» et convaincue que cette procédure «sans fondement» avorterait.

Après en avoir agité la menace pendant trois mois, le président de la chambre basse du parlement a fini par donner suite à une demande de l'opposition de droite qui accuse la présidente d'avoir sciemment maquillé les comptes de l'État en 2014 et 2015 pour minimiser l'ampleur de la crise économique.

Sa décision va plonger le Brésil dans une gravissime crise politique susceptible de paralyser pendant de longs mois la septième économie mondiale, déjà embourbée dans une profonde récession et ébranlée par le gigantesque scandale de corruption autour du groupe pétrolier étatique Petrobras.

«Je ne fais pas ça de gaieté de coeur», a affirmé en début de soirée Eduardo Cunha, ennemi juré de Dilma Rousseff, lors d'une conférence de presse improvisée à Brasilia.

«Je sais que c'est un geste délicat à un moment où le pays traverse une situation difficile, que l'économie traverse une crise, que le gouvernement est un gouvernement qui passe par de nombreuses crises, de nature politique, de nature économique», a-il affirmé.

Procédure «sans fondement»

«Cela veut dire autoriser l'ouverture (de la procédure), non pas d'en juger du bien-fondé, ce qui reviendra à la commission spéciale (de la chambre basse) qui pourra l'accepter ou le rejeter», a-t-il ajouté.

«J'ai appris avec indignation la décision du président de la chambre des députés de donner suite à une demande de destitution du mandat qui m'a été démocratiquement conféré par le peuple brésilien», a vite réagi Mme Rousseff lors d'une brève et solennelle allocution à la Nation.

«Les arguments qui motivent cette demande sont inconsistants et sans aucun fondement. Je n'ai commis aucun acte illicite et aucune suspicion de détournements publics ne pèse contre moi», a-t-elle ajouté, entourée de 11 membres de son cabinet.

Selon la Constitution brésilienne, une Commission spéciale de députés représentative des forces en présence à la chambre basse du Parlement devrait être constituée dans un délai encore imprécis, sauf contestation devant le Tribunal suprême de l'initiative de M. Cunha, quatrième personnage de l'État.

Une fois constituée, cette commission aurait un délai de 15 sessions parlementaires pour voter un rapport préconisant la destitution ou non de la présidente.

Ce rapport serait ensuite inscrit à l'ordre du jour de l'assemblée plénière des députés qui devront voter l'éventuelle mise en accusation de la présidente. Deux tiers des voix des députés, soit 342 sur 513, seraient requis pour que le processus se poursuive.

En cas de mise en accusation, Dilma Rousseff serait écartée provisoirement de ses fonctions pendant un maximum de 180 jours. C'est au Sénat qu'il reviendrait de la juger en session plénière dirigée par le président du Tribunal suprême. Deux tiers des voix des sénateurs (54 sur 81) seraient requis pour destituer immédiatement la présidente, faute de quoi elle serait immédiatement réinvestie dans ses fonctions.

En cas de destitution de Dilma Rousseff, c'est son vice-président Michel Temer, membre du Parti du Mouvement démocratique brésilien, (PMDB, centre), qui la remplacerait jusqu'aux prochaines élections de 2018.

Eduardo Cunha, député évangélique ultra-conservateur est membre lui-aussi du PMDB, l'incontournable allié parlementaire du Parti des travailleurs au pouvoir (PT, gauche) depuis l'élection en 2003 de l'ex-président Luiz Inacio Lula da Silva, le mentor politique de Mme Rousseff.

Mais il a adopté depuis son élection en février à la tête de l'Assemblée une attitude résolument hostile à Dilma Rousseff, infligeant de cuisantes défaites au gouvernement qui éprouve les plus grandes difficultés à faire adopter son impopulaire programme d'austérité économique.

Il s'est encore plus violemment opposé à Mme Rousseff après sa mise en accusation au mois d'août dernier pour «corruption» et «blanchiment» dans le scandale Petrobras.

«Sortir de l'impasse»

Accusé d'avoir dissimulé des comptes secrets en Suisse sur lesquels ont transité des millions de dollars provenant, selon les enquêteurs, d'entreprises impliquées dans le scandale Petrobras, il fait lui-même l'objet d'une procédure devant la commission d'éthique de la chambre des députés qui pourrait déboucher sur son éviction.

Il a fait chanter le parti présidentiel pendant des mois, menaçant de déclencher la procédure de destitution contre Mme Rousssef si les députés PT de la commission d'éthique votaient en faveur de sa propre mise à l'écart, ce qu'ils étaient finalement sur le point de faire après de nombreuses hésitations.

Dilma Rousseff, difficilement réélue en 2014 a vu sa popularité s'effondrer sous les 10%, sous les effets conjugués de la triple crise politique, économique et morale qui secoue le Brésil.

«Le président de la Chambre des députés a pris la décision qui lui incombait», a réagi le chef de l'opposition Aecio Neves, adversaire malheureux de Mme Rousseff au second tour de la présidentielle de 2014.

«Pour nous l'opposition, toute sortie de l'impasse dans laquelle l'irresponsabilité du gouvernement a plongé le pays devra s'inscrire dans le cadre prévu par la Constitution», a ajouté le président du Parti social-démocrate brésilien (PSDB).