La question du rôle de l'armée mexicaine dans la disparition de 43 étudiants en septembre 2014 a été posée après la publication dimanche d'un rapport d'enquête d'une commission indépendante révélant que des militaires étaient présents la nuit du drame, sans intervenir.

Les familles et proches des victimes reprochent à l'armée sa passivité et exigent de pouvoir entrer dans les casernes pour que de nouveaux éléments puissent être recueillis.

«En plus des polices municipales d'Iguala et de Cocula qui ont été les agresseurs directs», dans les deux endroits où «ont été détenus et ont disparu des élèves-enseignants, l'armée était présente», indique le rapport d'un groupe international d'enquêteurs indépendants (GIEI), après six mois d'enquête.

Selon cette enquête, l'armée a été informée que des membres de la police municipale, liée au cartel de drogue des Guerreros Unidos, avaient attaqué les étudiants de l'école normale d'Ayotzinapa (État du Guerrero, sud), qui s'étaient emparés de bus pour mener une mobilisation politique.

Un membre du renseignement militaire, qui circulait en civil sur une moto, a observé des policiers cagoulés lancer deux grenades lacrymogènes dans le bus pour en faire sortir une dizaine d'étudiants «qu'ils ont menottés et jetés violemment sur le sol», selon le rapport.

Les jeunes criaient «Sales policiers, vive Ayotzi!», auxquels répondaient par des insultes des policiers qui leur disaient d'obtempérer «sinon ça allait être pire pour eux».

Cet agent du renseignement a déclaré que les policiers avaient intercepté un des bus devant le palais de justice municipal, et qu'ils ont ensuite communiqué avec leur supérieur pendant une période s'étalant «de 45 minutes à une heure», tout en procédant à l'arrestation de ces jeunes.

Les experts indépendants, envoyés par la Commission interaméricaine des droits de l'homme, ont pu avoir accès aux déclarations des militaires cités dans le rapport, mais n'ont pas été autorisés à les interroger directement.

«Des vies auraient pu être sauvées»

Le rapport indique que la police municipale, les policiers fédéraux et les militaires étaient informés des faits se déroulant la nuit du drame à travers le C-4, un système de communication et de coordination de toutes les forces de sécurité.

«Il est clair que le gouvernement est responsable» parce que «des vies auraient pu être sauvées et ils ne l'ont pas fait», a déclaré à l'AFP Santiago Canton, directeur général des droits de l'homme à la fondation Robert F. Kennedy à Washington et ex-secrétaire exécutif de la CIDH.

Ce rapport, qui met à mal les conclusions des autorités, pourrait se transformer en nouveau défi pour le gouvernement et l'armée, régulièrement mise en accusation pour des violations des droits de l'homme depuis son déploiement en 2006 pour combattre les cartels.

Le directeur des enquêtes criminelles du ministère de la Justice, Tomas Zeron, a maintenu lundi la version officielle des faits, selon laquelle tous les étudiants ou «au moins une grande partie d'entre eux» ont été tués puis incinérés dans une décharge en dépit des éléments fournis par un expert en incinération, cité dans le rapport.

En juillet, Salvador Cienfuegos, ministre de la Défense, avait affirmé dans une interview au quotidien Excélsior que la nuit de l'attaque les effectifs militaires dans la zone étaient insuffisants pour intervenir.

«Et heureusement encore», avait-il ajouté, car les soldats auraient prêté main-forte à la police locale qui représentait alors l'autorité.

Le rapport démontre également que la nuit du drame, des soldats se sont déployés sur les lieux où deux étudiants ont été tués, et où est apparu, au matin, le corps d'un troisième étudiant présentant des signes de torture.

Si le rapport prouve «que des agents du renseignement militaire se trouvaient présents durant les faits, c'est une raison suffisante pour que l'enquête soit rouverte», estime Raul Benitez Manaut, expert en sécurité nationale à l'Université nationale autonome de Mexico (UNAM).

Le procureur général, Arely Gomez, a indiqué dimanche que les nouveaux éléments apportés seront étudiés et apportés au dossier, sans toutefois donner de réponse sur le rôle de l'armée la nuit du drame.

Contacté par l'AFP, le ministère de la Défense s'est refusé à commenter les résultats de cette enquête indépendante.