Le Guatemala a lancé un message contre la corruption et la classe politique traditionnelle en plaçant un acteur comique sans expérience en tête du premier tour de l'élection présidentielle, point d'orgue d'une mobilisation populaire sans précédent.

Le comédien et animateur de télévision Jimmy Morales, 46 ans, du parti FCN-Nacion (droite), totalise 23,89% des voix à l'issue du scrutin de dimanche, selon les résultats disponibles portant sur 98,22% des suffrages.

Alors que l'incertitude demeure sur son adversaire au second tour le 25 octobre, l'ex-Première dame Sandra Torres, 59 ans, de l'Union nationale de l'espoir (UNE, social-démocrate), a revendiqué la deuxième place avec 19,68% des suffrages.

Seuls quelques milliers de voix - sur 5,3 millions de votants - la séparent de l'homme d'affaires millionnaire Manuel Baldizon, 45 ans, du parti Liberté démocratique (Lider, droite), à 19,59%. Il ne s'était toujours pas exprimé publiquement lundi après-midi.

Selon le tribunal électoral, qui donnera les résultats définitifs d'ici cinq jours, la participation est un «record» à 70,7%, déjouant les pronostics d'abstention - mais aussi de violence - liés à l'exaspération de la population.

Les électeurs ont finalement exprimé leur indignation en misant sur un candidat étranger au monde politique, après une semaine rocambolesque, de la démission du président conservateur Otto Pérez, accusé de corruption, à son placement en garde à vue.

Connu pour le personnage naïf de «Neto» qui, dans un film, a failli devenir président par accident avant d'y renoncer à la dernière minute, Jimmy Morales a percé de manière spectaculaire ces derniers mois sur la scène politique nationale.

«Malgré l'absence de ligne programmatique claire, le profil atypique et l'absence d'expérience politique de Jimmy Morales ont clairement joué en sa faveur», observe Kevin Parthenay, chercheur à l'Opalc, l'observatoire sur l'Amérique latine de Sciences Po Paris.

Vêtu du maillot de l'équipe nationale de football, Jimmy Morales a lancé lundi à un appel au rassemblement politique, à l'exception des «personnalités signalées pour actes de corruption».

Longtemps favori, Manuel Baldizon, avocat ayant fait fortune notamment dans l'immobilier, a pâti des scandales de corruption et blanchiment d'argent touchant six députés de son parti et son candidat à la vice-présidence.

«La crise ne termine pas là» 

«La principale préoccupation de quatre Guatémaltèques sur cinq, c'était d'éviter le triomphe de Baldizon, qui incarne la corruption», estime Luis Linares, analyste de l'Association de recherche et d'études sociales (Asies).

Et les électeurs «ont considéré que voter nul lui bénéficiait», ajoute-t-il. «Maintenant, la population doit rester vigilante».

Malgré la défaite infligée au premier tour à la classe politique traditionnelle, «la crise ne se termine pas là; désormais, il faut surveiller les nouveaux élus (députés et maires) et pour cela il faut que continue et se renforce» le mouvement social, renchérit Renzo Rosal, analyste indépendant.

Beaucoup exigent une refonte du système politique pour le purger de la corruption. Alejandro Maldonado, président par intérim jusqu'au 14 janvier, plaide pour une réforme de la loi électorale et des partis avant le second tour.

Mais le paysage qui se dessine au Parlement après ce scrutin, qui visait aussi à renouveler les 158 députés et 338 maires, n'est guère encourageant: les résultats quasi-définitifs placent en tête deux partis traditionnels, Lider et UNE.

La révélation en avril d'un scandale de corruption touchant les plus hauts niveaux de l'État avait scandalisé les Guatémaltèques, dont 53,7% vivent sous le seuil de pauvreté et qui supportent au jour le jour un système public de santé et d'éducation en pleine débâcle, faute de moyens.

Elle avait déclenché une mobilisation citoyenne sans précédent et pacifique, dans un pays de 15,8 millions d'habitants pourtant l'un des plus violents au monde.

La chute de M. Pérez a donc été accueillie par des scènes de liesse populaire.

Cet ex-général de 64 ans, qui passe un long week-end à la prison militaire de Matamoros, retrouvera mardi le juge pour un éventuel placement en détention provisoire.

Il est accusé, comme son ancienne vice-présidente Roxana Baldetti, déjà incarcérée, d'avoir dirigé un réseau de corruption au sein des douanes, qui aurait détourné 3,8 millions de dollars entre mai 2014 et avril 2015, M. Pérez et Mme Baldetti ayant reçu 800 000 dollars en pots-de-vin selon l'accusation.