L'affaire est digne d'un scénario de film. Un scandale qui remonte aux plus hauts sommets de l'État: le président et l'ancienne vice-présidente sont accusés de corruption. À quatre jours des élections législatives et présidentielle, la colère gronde au Guatemala.

La rue ne décolère pas. Depuis des mois, des manifestations rassemblent des milliers de personnes qui réclament la démission du président guatémaltèque Otto Pérez Molina, accusé d'avoir été à la tête d'un stratagème de corruption.

Mais le général à la retraite de 64 ans, élu en 2012, clame son innocence, refuse de démissionner et entend rester en poste jusqu'au 14 janvier 2016, alors qu'il transmettra les pouvoirs à son successeur, la Constitution guatémaltèque lui interdisant de solliciter un second mandat.

Hier, le Parlement a voté la levée de l'immunité présidentielle, ce qui ouvre la voie à sa mise en accusation formelle.

L'ex-vice-présidente Roxana Baldetti, qui a démissionné en mai après avoir été elle aussi mise en cause, a été arrêtée et emprisonnée il y a 10 jours. Six des 13 ministres du gouvernement ont depuis démissionné pour se dissocier du scandale.

Ristourne sur pots-de-vin

Le stratagème de corruption a été révélé au grand jour en avril dernier. Baptisé «la Linea» (la ligne), il s'agit de pots-de-vin versés à des fonctionnaires de douane en échange de droits d'importation réduits.

L'enquête, qui a duré un an et qui repose sur quelque 86 000 heures d'écoute électronique, a été menée par la Commission internationale contre l'impunité au Guatemala (CICIG), un organe des Nations unies.

Ce système «unique au monde» a été mis sur pied à la demande du Guatemala à la fin de la guerre civile, en 1996, explique Hugo Loiseau, professeur à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke et codirecteur de l'Observatoire des Amériques de l'Université du Québec à Montréal.

«C'est l'ONU qui a pris en charge le système de justice, notamment criminelle, pour diminuer l'impunité» qui s'élevait alors à 98%.

La chute mystérieuse des revenus de douane avait mis la puce à l'oreille de la CICIG, qui affirme aujourd'hui détenir les preuves de l'implication directe du président et de l'ancienne vice-présidente, qui auraient reçu leur part des pots-de-vin.

L'insécurité, autre enjeu électoral

Si les Guatémaltèques réclament le départ de leur président, c'est aussi parce qu'ils lui reprochent d'avoir échoué à combattre l'insécurité, lui qui avait promis la mano dura, la main ferme, contre «les grands cartels», rappelle Hugo Loiseau.

«C'est la criminalité qui règne», affirme le professeur, qui ajoute que plus personne n'ose sortir le soir venu, dans la capitale. «Les gens vivent dans la peur.»

Faire échec aux bandes criminelles était cependant une promesse hasardeuse, puisque «ce sont des organisations transnationales qui sont à peu près 10 fois plus riches que [l'État du] Guatemala», souligne-t-il.

«Il faut que la justice joue son rôle [et] que les élites politiques se reprennent en main», conclut Hugo Loiseau, qui prône aussi qu'une «coopération régionale [soit mise] en place pour lutter contre le trafic de drogue et la traite humaine».

Loin d'être pessimiste quant à l'avenir du pays, il est encouragé par les manifestations des derniers mois. «Ça démontre que la société civile est encore en place et n'est pas atomisée ou cynique.»