Ils craignent d'être les oubliés de l'histoire : des dissidents cubains ont manifesté dimanche contre le président américain, pour la première fois depuis 1959, inquiets de perdre leur principal soutien à l'heure où les deux pays renouent leurs liens diplomatiques.

Cette manifestation a révélé l'angoisse des opposants, à quelques jours seulement de la visite historique du secrétaire d'État américain, John Kerry, qui inaugurera vendredi l'ambassade des États-Unis à Cuba, hissant à nouveau le drapeau étoilé, effacé du paysage le 3 janvier 1961.

Un geste symbolique qui mettra fin à l'ultime vestige de la Guerre froide, huit mois après l'annonce, le 17 décembre, du rapprochement par Barack Obama et son homologue cubain Raul Castro.

La protestation de dimanche s'est soldée par l'interpellation de 90 opposants, qui avaient défilé en portant des masques à l'effigie de Barack Obama, une brève arrestation condamnée par les États-Unis.

«Il (Obama) est responsable de ce qui se passe (à Cuba), le gouvernement cubain s'est enhardi avec les négociations» avec Washington, a déclaré, quelques minutes avant d'être arrêté l'analyste politique Angel Moya, époux de Berta Soler, dirigeante des Dames en Blanc, le groupe le plus connu de l'opposition cubaine.

«C'est pour cela que nous portons son masque, pour sa responsabilité», a-t-il insisté.

Ce qui préoccupe les dissidents, c'est l'absence de débat sur les droits de l'homme, depuis l'ouverture du dialogue entre Washington et La Havane.

«À partir du 17 décembre, toute la question autour de Cuba a changé et il y a vraiment beaucoup de personnes favorables (à ce changement), mais nous considérons que le processus aurait dû être conditionné» aux avancées en matière de droits de l'homme, explique à l'AFP le dissident Antonio Rodiles, un des organisateurs de la manifestation de dimanche.

«Le thème de la promotion de la démocratie est resté au second plan et on a beaucoup parlé de la promotion des affaires et des investissements étrangers», ajoute-t-il.

L'opposition divisée

À Cuba, pendant plus d'un demi-siècle, les manifestations contre le président américain en place ont toujours été organisées par le propre gouvernement communiste de Fidel Castro, puis de son frère Raul, aux manettes depuis 2006.

Aujourd'hui, ce sont les opposants qui critiquent le voisin du nord, redoutant de perdre leur principal soutien politique et économique de ces dernières décennies, avec chaque année des millions de dollars du budget fédéral consacrés à «la promotion de la démocratie à Cuba».

Toutefois, une grande partie de cet argent ne parvient jamais jusqu'aux dissidents de l'île, empoché au passage par les groupes anticastristes de Miami, notamment la radio et télévision Marti, qui reçoit 27 millions de dollars par an.

Au sein même de Cuba, tous les opposants ne sont pas contre le récent rapprochement avec Washington.

Ce dernier révèle ainsi les divisions au sein de la dissidence cubaine, qui n'a jamais réussi à s'unir autour d'une plateforme commune après la révolution de 1959.

«Moi je fais partie de ceux qui pensent que c'est positif pour Cuba (...) car cela enlève la pression que le régime a essayé de maintenir pendant 50 ans pour expliquer son immobilisme, une pression liée au différend avec les États-Unis», déclare à l'AFP le dissident modéré Manuel Cuesta Morua.

Tania Bruguera, qui se définit comme une «artiste plastique qui n'est pas d'accord», approuve elle aussi ce réchauffement.

«La normalisation avec les États-Unis est une étape positive pour Cuba, car cela crée une attente, cela rompt l'inertie et ouvre un espace pour que les gens s'imaginent une façon différente de procéder, même si au final ça n'arrive pas», explique-t-elle à l'AFP.

Tania en sait quelque chose : elle avait voulu organiser fin décembre une «performance artistique» où n'importe quel Cubain pouvait dire ce qu'il souhaitait, face à un microphone installé sur la place de la Révolution à La Havane. L'opération s'était terminée par l'arrestation de 51 dissidents et de l'artiste.