Près de trois semaines après le début d'un mouvement de contestation, Potosí, ville minière et touristique du sud de la Bolivie en proie à la pauvreté et à l'exclusion, s'enfonce dans une crise qui a eu des répercussions jusqu'au coeur de la capitale La Paz.

Potosí, avec ses 200 000 habitants, reste coupée du monde, des milliers de grévistes bloquant les routes et affectant ainsi la distribution de produits alimentaires à la population dans une des régions les plus pauvres de ce pays.

Le mouvement, auquel se sont joints des grévistes de la faim, s'est amplifié avec la multiplication de barrages, dont celui sur la voie ferrée reliant Uyuni à Oruro, deux villes importantes du sud de la Bolivie.

Les dirigeants du Comité civil de Potosí (Comcipo) à l'origine du mouvement sont depuis deux semaines à La Paz dans l'espoir de parler au président socialiste Evo Morales, qui a refusé jusqu'à présent de les recevoir.

Une première réunion entre trois ministres et 52 délégués de la société civile de Potosí a eu lieu samedi au ministère de l'Intérieur à La Paz, selon le ministre Carlos Romero. «Pour commencer, nous avons une liste de 26 points que nous avons identifiés», a indiqué le ministre de la présidence Juan Ramon Quintana. Il s'agit de sujets concernant le gouvernement national, le pouvoir local à Potoso et dans d'autres municipalités, selon lui.

Cependant le leader de la Comcipo, Johnny Llally, a posé comme condition préalable à toute négociation la libération de quatre de la cinquantaine de manifestants arrêtés cette semaine, et notamment d'un journaliste.

Après l'échec en début de semaine de nouvelles tentatives de discussions, des centaines de mineurs originaires de Potosí armés de bâtons de dynamite ont semé la panique à La Paz, au cours de violents affrontements avec la police antiémeutes, qui a procédé à une cinquantaine d'arrestations.

Les explosions de dynamite ont causé de graves dommages à plusieurs locaux officiels, notamment à l'ambassade d'Allemagne.

Située à 4000 mètres d'altitude, Potosí, inscrite au patrimoine de l'humanité par l'UNESCO, a été au XVIe siècle le plus grand complexe industriel du monde grâce aux gisements d'argent et d'étain du Cerro Rico.

Les manifestants réclament notamment la construction d'une fabrique de ciment, des projets de restructuration de la mine de Cerro Rico, affectée par l'exploitation artisanale, la construction d'un aéroport international et d'hôpitaux spécialisés.

Selon le politologue Carlos Cordero, «le problème sous-jacent est en fait la lutte désespérée de la population de Potosí pour sortir de la pauvreté et de l'exclusion».

«Le pays a connu un boom économique ces dernières années», dit-il à l'AFP, «mais Potosí estime être passé à côté de cette prospérité».

Le président joue au foot

«Ce que nous demandons au président, c'est qu'au lieu de jouer au football, il dialogue avec le département de Potosí», a pour sa part lancé Johnny Llally.

Le président Morales, ancien leader syndical des producteurs de coca, garde en effet ses distances et n'hésite pas à jouer au football devant les caméras à l'occasion de ses déplacements à l'intérieur de la Bolivie.

«Il ne manquera pas de traîtres, mais les gens vont continuer à nous soutenir», a assuré M. Morales jeudi.

Auparavant, il avait insinué que «certains Chiliens» alimentaient le conflit dans le but de faire de l'ombre à la récente visite du pape François en Bolivie, qui a encouragé le dialogue entre La Paz et Santiago sur un différend maritime centenaire les opposant.

Le ministre des Mines, Cesar Navarro, a averti qu'après une grève prolongée, la Bolivie risquait de voir dans «quelques jours la compagnie minière Manquiri arrêter ses opérations à Potosí».

La grève a paralysé cette mine de Manquiri, filiale de la société américaine Coeur d'Alene Mines, et menace les activités du groupe San Cristobal, propriété de Sumitomo Metal, société japonaise de production de zinc et de nickel.

Le tourisme pourrait également souffrir de lourdes pertes en particulier dans le Salar d'Uyuni, vaste désert de sel situé sur les hauts plateaux de la région et haut lieu touristique.

En raison de la grève, des dizaines de visiteurs étrangers sont déjà restés bloqués plusieurs jours à Potosí avant d'être évacués.