La Chilienne Carmen Gloria Quintana, brûlée vive par les troupes de la dictature Pinochet, réclame justice depuis près de 30 ans. Les révélations d'un ancien soldat viennent de faire éclater le pacte du silence qui entourait le cas de la Montréalaise d'adoption, devenue le symbole des excès du régime militaire.

Carmen Quintana avait 18 ans quand des soldats l'ont couverte d'essence avant de la brûler en juillet 1986. Faisant son service militaire, Fernando Guzmán avait lui aussi 18 ans quand il a assisté à la scène d'horreur. Il était du côté des bourreaux.

Rongé par les remords depuis, incapable de dormir sur ses deux oreilles, l'ancien soldat du régime militaire d'Augusto Pinochet a décidé de briser la loi du silence l'an dernier.

Les informations qu'il a transmises depuis au juge chilien Mario Carroza sur l'attaque du 2 juillet 1986 ayant défiguré Carmen Quintana et entraîné la mort de son ami, Rodrigo Rojas, ont mené cette semaine à l'arrestation de sept ex-officiers de l'armée. Parmi eux, le commandant de l'opération, l'ex-lieutenant Julio Castañer. Retrouvé dans le sud du pays, ce militaire occupait toujours un poste au sein de l'armée lorsqu'il a été arrêté mardi.

Sentiments partagés

Carmen Quintana, qui vit à Montréal depuis 2011, a appris la nouvelle à distance. «J'ai des sentiments partagés, dit la Chilienne de 48 ans, jointe au téléphone. D'un côté, je suis heureuse de voir que la justice chilienne reprend le chemin qu'elle a abandonné pendant la dictature. D'un autre, ça me met en rage de constater qu'on a maintenu le silence et l'impunité pendant trop longtemps au Chili», tonne-t-elle.

En 1993, un commandant a été condamné à une peine de 600 jours pour le crime dont elle et Rodrigo Rojas avaient été victimes. La sentence avait été jugée risible par la principale intéressée, qui espérait que d'autres responsables finiraient par être mis en cause.

Selon les médias chiliens, Fernando Guzmán a raconté comment, deux jours après les événements du 2 juillet 1986, lui et les autres soldats présents alors que les flammes consumaient le corps des deux jeunes manifestants ont dû apprendre une version des faits inventée de toutes pièces.

«Le pacte du silence a fonctionné», note aujourd'hui le documentariste montréalais Patricio Henríquez, qui a consacré plusieurs films aux violations des droits de la personne au Chili pendant la dictature militaire.

Justice partielle

On estime que plus de 40 000 personnes ont péri aux mains des forces de l'ordre de 1973 à 1990. Plus de 150 000 personnes ont aussi été détenues pour des raisons politiques. Le cas de Carmen Quintana, qui est devenue une porte-parole de la résistance à Pinochet, a aujourd'hui valeur de symbole au Chili.

Même si une commission de vérité et réconciliation, mise sur pied en 1990, a permis de connaître le nom de milliers de victimes, beaucoup de crimes restent à ce jour impunis.

«Oui, il y a eu de la justice au Chili, mais pas autant qu'en Argentine. Au Chili, il y a eu beaucoup de cas boiteux. Les militaires ont tenu leur langue. Ils ont promis de collaborer, mais rares sont ceux qui l'ont fait», explique Patricio Henríquez.

Délier les langues

Carmen Quintana compte se rendre au Chili dès la semaine prochaine. «Je veux inciter d'autres soldats à parler», dit-elle.

À ses yeux, les anciens soldats conscrits, comme Fernando Guzmán, ne devraient pas être au banc des accusés, mais plutôt sur celui des victimes, à ses côtés.



L'AFFAIRE EN 10 DATES

11 septembre 1973

Le général Augusto Pinochet renverse le président Salvador Allende et instaure un régime militaire.

2 juillet 1986

Carmen Quintana participe à une manifestation contre le régime avec Rodrigo Rojas. Des soldats les aspergent de pétrole et mettent le feu.

6 juillet 1986

Retrouvés par des agriculteurs dans un ravin, les deux jeunes Chiliens sont hospitalisés. Carmen Quintana survit, mais Rodriguo Rojas succombe à ses blessures.

Septembre 1986

Carmen Quintana et sa famille s'exilent à Montréal.

1988

Carmen Quintana retourne vivre au Chili, mais fait le tour du monde pour dénoncer la brutalité du régime.

1990

Pinochet quitte le pouvoir et une commission nationale pour la vérité et la réconciliation est mise sur pied.

1991

Un premier procès chilien dans l'affaire Quintana finit en queue de poisson.

1993

Fernandez Dittus, chef de la brigade responsable de l'attaque contre Rojas et Quintana, est condamné à 600 jours de prison par la Cour suprême du Chili.

2011

Carmen Quintana s'installe à Montréal avec sa famille. Elle y poursuit des études doctorales en psychologie.

Juillet 2015

Les révélations d'un soldat ayant assisté aux événements de juillet 1986 permettent à la Cour de délivrer des mandats d'arrêt contre sept personnes.