Le 18 juillet 1994, une explosion pulvérisait le bâtiment abritant les principales institutions juives d'Argentine, faisant 85 morts et 300 blessés. 21 ans plus tard, aucun coupable n'a encore été identifié pour cet attentat, le plus meurtrier de l'histoire du pays.

Vendredi, les proches des victimes se sont réunis à Buenos Aires pour réclamer une nouvelle fois justice, dans ce dossier compliqué par ses accents diplomatiques, où ont été tour à tour évoquées la piste syrienne et l'ombre de l'Iran, tandis que deux présidents argentins, Carlos Menem et Cristina Kirchner, sont soupçonnés d'entrave à l'enquête.

À 9 h 53 (8 h 53 heure de Montréal), l'heure exacte de l'attentat, une sirène a retenti lors d'une cérémonie en hommage aux victimes, sur les lieux mêmes de l'attaque. La date anniversaire tombant un samedi, jour de shabbat, les actes de commémoration ont été avancés au vendredi.

Dans un discours, le président de la Fédération des communautés juives, Ariel Cohen, a exigé «que des mesures soient prises pour que les inculpés iraniens soient soumis à la justice» argentine. Trois autres cérémonies étaient organisées à Buenos Aires.

«Nous demandons à notre gouvernement qu'il retrouve la posture courageuse qu'il a eue pendant des années et qu'il réitère ses demandes au plus haut niveau international», a-t-il dit.

Officiellement, l'attentat contre l'Association mutuelle juive argentine (Amia) et la Délégation des associations israélites argentines (Daia) n'est pas élucidé. L'enquête continue.

Après une procédure émaillée d'irrégularités et trois ans d'audience, un premier procès s'est terminé, en 2004, par l'acquittement de toutes les personnes poursuivies (cinq Argentins soupçonnés d'avoir aidé à l'élaboration de l'attentat, parmi lesquels plusieurs anciens policiers).

Désormais, dans un véritable retournement de situation, ce sont le propre juge chargé de l'instruction du dossier de 1994 à 2003, Juan José Galeano, l'ex-président Carlos Menem (1989-1999), aujourd'hui âgé de 85 ans, et l'ancien patron des services secrets, Hugo Anzorreguy, qui vont s'asseoir sur le banc des accusés en août.

La justice leur reproche d'avoir effacé des preuves et rapidement écarté la piste syrienne, même si celle-ci semble avoir maintenant laissé place à l'hypothèse iranienne.

«En vérité, le plus important est que le 6 août commence (leur) procès pour avoir couvert l'attentat du 18 juillet 1994», confie à l'AFP Diana Malamud, dirigeante de Memoria activa, association de familles de victimes.

Pour elle, «c'est un point d'inflexion, l'opportunité de faire un peu la lumière» sur cette affaire.

Mort suspecte du procureur

Même la présidente Cristina Kirchner, en célébrant mardi l'accord historique sur le nucléaire noué avec l'Iran, rappelait, dans une allusion à peine voilée à ce pays, que «samedi prochain, cela fera 21 ans qu'il n'y a ni détenus ni condamnés» pour cette attaque.

L'histoire s'est encore compliquée avec le décès, en janvier, du procureur Alberto Nisman, après s'être apparemment suicidé avec une arme à feu. Des doutes subsistent sur les circonstances de son décès.

Ce procureur, qui avait repris le dossier après Juan José Galeno, venait d'accuser Mme Kirchner d'avoir couvert des dirigeants iraniens soupçonnés d'avoir commandité l'attentat.

La justice n'a finalement pas engagé de poursuites contre elle, faute de preuves, mais de nombreuses manifestations ont suivi l'annonce du décès de M. Nisman, beaucoup critiquant une mort suspecte et réclamant la vérité.

Les experts engagés par la famille du procureur ont conclu qu'il avait été tué, ce que n'ont pas confirmé ceux de la justice.

Pour Israël, il n'y a pas de doute: les deux attentats à Buenos Aires, celui de l'Amia comme un autre survenu en 1992 contre l'ambassade d'Israël (29 morts, 200 blessés), ont été ordonnés par le régime iranien.

Le procureur Nisman avait d'ailleurs accusé l'Iran d'être le commanditaire de l'attentat et le groupe armé libanais Hezbollah d'avoir agi sur le terrain.

En 2007, la justice avait émis, en vain, un mandat d'arrêt international contre cinq dirigeants iraniens, dont l'ancien président Ali Rafsandjani (1989-1997), soupçonnés d'être les commanditaires.

L'Iran a de son côté toujours clamé son innocence. En 2013, un protocole signé entre Téhéran et Buenos Aires prévoyait la constitution d'une commission d'experts étrangers pour faire la lumière sur les attentats, autorisant un juge argentin à aller interroger des suspects en Iran, mais devant le scandale suscité en Argentine, l'accord était resté lettre morte.

L'Argentine compte la plus importante communauté juive d'Amérique latine, avec 300 000 membres.