Assis autour d'une table, dans une pièce faiblement éclairée, des enseignants et activistes discutent des actions à mener pour perturber les élections de dimanche, dans l'une des régions les plus pauvres du Mexique, au sud du pays.

Isolée dans la montagne, dans l'État du Guerrero, la ville de Tlapa abrite l'un des foyers de contestation les plus radicaux du pays, mené par des professeurs qui ont juré de bloquer les élections de mi-mandat qui permettront d'élire des députés fédéraux, des gouverneurs et conseils municipaux.

Mais contrairement à leurs collègues des États d'Oaxaca et du Chiapas, les enseignants de Tlapa ne s'opposent pas à la réforme éducative lancée par le président Enrique Pena Nieto.

Dans cette ville entourée de montagnes, où des groupes criminels cultivent l'opium et la marijuana, les enseignants dénoncent la collusion entre politiciens et les cartels de drogue. Les murs sont couverts de graffitis appelant au boycottage.

«Non aux élections-narco» peut-on lire sur un mur. Un autre graffiti s'adresse directement à l'électeur: «Ne dépose pas un bulletin secret pour quelqu'un qui te volera publiquement».

«Nous voulons bloquer les élections à cause des relations tyranniques entre politiciens et criminels. Voter reviendrait à donner à l'État le pouvoir d'agir comme un criminel» explique Elmer Pacheco, leader du Mouvement Populaire de Guerrerense (MPG), un groupe formé par des enseignants radicaux.

Bulletins de vote incendiés

Tandis que les professeurs refusent de révéler leurs plans pour l'élection de dimanche, les manifestants se sont affrontés vendredi aux forces antiémeutes, jetant des pierres contre les policiers et brûlant un véhicule.

Dans l'État du Chiapas, au sud du pays, des professeurs ont pénétré dans les bureaux régionaux des principaux partis pour s'emparer de matériel de bureau et de documents qu'ils ont incendiés dans la rue.

Des actions similaires ont eu lieu au cours de la semaine contre des partis politiques à Oaxaca et Guerrero.

C'est dans la ville d'Iguala, dans l'État du Guerrero, que l'an dernier la police locale avait interpellé et livré à un cartel de drogue 43 étudiants qui auraient ensuite été massacrés, selon les autorités.

Ce drame avait poussé des enseignants à s'emparer de plusieurs bâtiments publics dans plusieurs villes de cet État.

Tlapa était la seule ville où les enseignants gardaient toujours le contrôle de bâtiments officiels avant qu'ils n'en soient chassés lundi par une centaine de personnes, dont plusieurs politiciens locaux, armés de bouteilles, de bâtons et de pierres.

Les enseignants s'étaient auparavant emparés de 80.000 bulletins de vote qu'ils avaient incendiés dans la rue, illuminant des murs sur lesquels figuraient des slogans écrits en plusieurs langues indigènes, exigeant le retour des 43 étudiants disparus.

Le MPG est apparu en 2012 en opposition au plan de Pena Nieto pour réformer l'éducation, mais le mouvement a pris de l'ampleur après la tragédie d'Iguala.

«D'abord et avant tout, nous exigeons le retour des 43. Mais tout cela (le blocage des élections) a lieu aussi parce que nous avons autorisé ces gens à prendre le pouvoir» explique Antonio Vivar, un autre enseignant.

Les membres de ce syndicat radical promettent des actions spectaculaires dans la nuit de samedi à dimanche qui pourraient «déstabiliser les élections» dans une ville de 100 000 habitants, prévient Vivar, un livre sur l'icône de la révolution cubaine Ernesto «Che» Guevara à la main.

Couple impérial

Les enseignants surnomment le maire de Tlapa, Victoriano Wences, du Parti des Travailleurs, et sa femme, le «couple impérial». Si Wences est en course pour un siège de député, son épouse vise la mairie.

C'est ce même surnom que les médias avaient donné au maire d'Iguala, Jose Luis Abarca, et son épouse Maria de Los Angeles Pineda, qui lorgnait également sur la mairie et avait été accusée de liens avec un cartel de la drogue.

En lieu et place d'élections, les enseignants de Tlapa proposent de créer des assemblées populaires qui formeraient des conseils de gouvernement dans chaque communauté, sur le mode des coutumes indigènes.

Ils s'inspirent ainsi de systèmes mis en place dans les villes dominées par le mouvement rebelle zapatiste EZLN au Chiapas (sud-est) et à Chéran, une ville indigène dans l'Etat de Michoacán (ouest).

«Malheureusement cette région montagneuse possède l'un des taux de pauvreté les plus élevés du pays, et constitue l'un des principaux producteurs d'opium», souligne Pacheco.

Tlapa est situé près de Cochoapa El Grande, la ville la plus pauvre du Mexique où 82% de la population vit dans une extrême pauvreté.

«Nous sommes à des années-lumière de l'image de pays développé véhiculée par les technocrates qui nous dirigent», dit-il en réajustant ses lunettes. «C'est pourquoi nous ne nous comprenons pas».