La chef du gouvernement péruvien Ana Jara a été renversée par une motion de censure, une première en 50 ans, après des révélations sur l'espionnage de parlementaires, journalistes, hommes d'affaires et citoyens ordinaires par les services de renseignement.

Le président Ollanta Humala a maintenant 72 heures pour désigner un Premier ministre. Pour la septième fois.

Ce choix devra ensuite être confirmé par le Congrès alors que son parti ne dispose pas de la majorité. En cas d'échec, le président pourrait alors dissoudre le Parlement et convoquer des élections législatives.

Le chef de l'État est sorti de son silence en fin de journée pour rendre hommage à sa Première ministre et la «remercier», estimant sa censure «injuste».

Visitant la ville de Chosica, frappée par des coulées de boues dévastatrices, le président a salué Ana Jara, 46 ans, comme «une des meilleurs, sinon le meilleur chef de gouvernement que nous ayons eu».

«Je regrette ce qui s'est produit mais nous le respectons car cela fait partie du jeu démocratique», a-t-il dit, avant d'ajouter: «nous aurons bientôt un nouveau chef de cabinet (...) et la vie continuera normalement».

Lundi soir, après cinq heures de débat, le Congrès a voté la censure contre la Première ministre par 72 voix pour, 42 contre et deux abstentions.

Cette motion de censure avait été proposée le 20 mars par l'opposition, motivée par l'intervention considérée peu convaincante d'Ana Jara au Congrès après les révélations dans la presse sur l'espionnage de congressistes, personnalités politiques (membres du parti au pouvoir et opposants), journalistes, hommes d'affaires et citoyens ordinaires par les services de la Direction nationale du renseignement (Dini).

Celle-ci a été fermée temporairement le mois dernier sur décision du gouvernement.

Pour sa défense, Ana Jara avait expliqué avoir ordonné une enquête et assuré que cette affaire d'espionnage remontait à la présidence antérieure d'Alan Garcia (droite).

Le scandale baptisé «Dinileaks» avait été pris de l'ampleur le 19 mars avec la publication par l'hebdomadaire Correo Semanal d'une liste de noms de personnes faisant l'objet de surveillance.

Président affaibli 

Ana Jara avait également insisté sur le fait qu'il ne s'agissait pas d'espionnage mais de «compilation d'informations publiques».

«Cela remonte à 2005. Ca s'est passé sous la présidence de Alejandro Toledo (2001-2006, ndlr), sous celle de Alan Garcia (1985-1990 puis 2006-2011, ndlr) et rien n'a été fait. Aujourd'hui, celle qui prend l'initiative (d'enquêter), vous voulez la censurer», a déclaré durant le débat parlementaire Victor Isla, député du parti au pouvoir.

«Bien qu'elle n'ait pas donné d'instructions (pour faire espionner), il est évident qu'en politique, il faut assumer les responsabilités», a rétorqué le parlementaire d'opposition Javier Bedoya.

C'est la première fois depuis 1963 que le Congrès péruvien censure un chef de gouvernement.

«Je remercie le Seigneur Jésus de m'avoir donné l'occasion de servir le pays», a écrit Ana Jara, une fervente évangéliste, sur son compte Twitter apprenant le résultat du vote.

Pour sa part Nadine Heredia, épouse du président Humala, et présidente du parti au pouvoir, a jugé que le vote de censure «était un exemple lamentable de chantage politique sans tenir compte des conséquences pour le pays», sur son compte Twitter.

A moins d'un an de l'élection présidentielle, il s'agit de la plus grave crise politique que doit affronter le président, un ancien militaire nationaliste de centre-gauche au pouvoir depuis 2011, au plus bas dans les sondages.

«Nous sommes en présence d'un gouvernement très affaibli, ce qui vient de se passer au Congrès le démontre clairement», a estimé Luis Benavente, directeur de l'institut d'opinion Vox Populi.

«Le président Humala doit maintenant bien gérer sa parole, se concentrer sur les programmes sociaux et penser à la gestion de ce qu'il reste de son mandat», a-t-il dit à l'AFP.

En février dernier, il avait déjà procédé à un remaniement ministériel, remplaçant notamment le ministre de l'Intérieur, le polémique et populaire général à la retraite Daniel Urresti nommé en juin dernier, et qui fait l'objet de poursuites pénales pour son implication présumée dans le meurtre d'un journaliste en 1991.

A 13 mois de la prochaine élection présidentielle, la cote de popularité d'Humala est tombée à 25% d'opinions favorables.