Figure centrale du régime communiste cubain et héraut de l'anti-impérialisme américain pendant des décennies, l'ex-président Fidel Castro, retiré du pouvoir pour raisons de santé, est le grand absent du rapprochement annoncé entre Cuba et les États-Unis.

Depuis l'annonce-choc de mercredi, qui augure d'une nouvelle ère dans les relations entre ces deux pays dont les côtes sont distantes d'à peine 170 km, le «Comandante» demeure totalement invisible sur les médias cubains.

Pourtant c'est lui qui en 2001 avait promis à son peuple qu'il obtiendrait coûte que coûte la libération des agents cubains lourdement condamnés par la justice américaine pour espionnage.

Mais c'est son frère Raul Castro qui a donné l'accolade mercredi aux «héros de la république», de retour à La Havane dans le cadre de l'échange de prisonniers qui a accompagné le rapprochement.

Ces libérations et le rapprochement avec les États-Unis «sont aussi la victoire de Fidel, mais je pense malheureusement que son état de santé ne lui permet pas d'apparaître», estime un diplomate occidental.

«Fidel ne peut pas apparaître, mais c'est l'aboutissement d'un travail diplomatique dans lequel il a été impliqué, cela ne fait aucun doute», juge de son côté Gabriel Molina, vétéran de la presse d'État cubaine et ancien directeur du grand quotidien Granma.

Après un demi-siècle de pouvoir absolu, le Lider Maximo avait cédé la présidence le 31 juillet 2006 à son frère cadet à la suite d'une lourde opération chirurgicale, une mesure d'abord provisoire, devenue définitive en février 2008.

Aujourd'hui, à 88 ans, son état de santé est l'objet de toutes les interrogations, alors que ses apparitions et ses «réflexions» dans la presse cubaine se font de plus en plus rares.

Sa dernière sortie en public remonte à janvier 2014, lors de l'inauguration d'une galerie dans l'ouest de La Havane. En juillet, il avait rencontré les président chinois Xi Jinping et russe Vladimir Poutine à son domicile, mais hors caméras. Seuls quelques clichés avaient immortalisé ces tête-à-tête.

«Fidel est irremplaçable»

Depuis, il ne s'est manifesté qu'à deux reprises, en octobre, avec des billets publiés par la presse d'État cubaine.

Illustrant un certain changement de ton à La Havane, l'un d'eux vantait «la grande habileté» d'un éditorialiste du New York Times dans une plaidoirie en faveur de la levée de l'embargo américain, et l'autre proposait aux États-Unis de collaborer dans la lutte contre le virus Ebola.

Selon un responsable américain, l'ancien président n'a pas été impliqué dans les discussions menées dans le plus grand secret depuis juin 2013 sous l'égide du Canada et avec l'appui décisif du pape François.

Mais la plupart des observateurs à Cuba estiment que ce rapprochement avec le voisin auparavant honni a reçu son assentiment, car Raul n'a jamais affiché une quelconque volonté de supplanter son charismatique frère.

«Fidel est irremplaçable, toutes les décisions importantes se prendront en concertation» avec lui, assurait Raul Castro en lui succédant en 2006.

Mercredi, il a cité Fidel à plusieurs reprises, rappelant la promesse de 2001 et insistant sur le fait que, malgré ce rapprochement, les Cubains n'avaient rien cédé sur l'essentiel... comme le préconisait Fidel.

Toutefois, pour de nombreux experts et diplomates de La Havane, ce rapprochement n'aurait probablement pas été envisageable sous Fidel Castro.

Figure de la Guerre froide, il est parvenu à défier onze présidents américains, a survécu à maints complots pour l'assassiner ainsi qu'à une tentative ratée de débarquement d'exilés cubains soutenus par la CIA dans la baie des Cochons (sud de l'île) en avril 1961.

Ses invectives contre l'impérialisme américain sont dans toutes les mémoires, et le Lider Maximo avait confié avant même de conquérir le pouvoir en 1959 que la lutte contre l'Amérique était son véritable «destin».

«Fidel est totalement anti-américain, alors que Raul a une vision plus pragmatique, et place en priorité ce qui est plus utile pour le pays», estime le diplomate occidental.

De fait, Raul est parvenu, par ses réformes, son discours adouci et sa diplomatie, à préparer le terrain pour une nouvelle relation avec le grand voisin, qui pourrait avoir bien des effets bénéfiques pour les Cubains.