Un pouvoir décrié, un gouvernement condamné: une autre importante manifestation s'est déroulée hier à Mexico, démontrant une fois de plus l'ampleur de la crise de confiance provoquée par la disparition de 43 étudiants. L'implication des autorités dans ce drame est indéniable, a confirmé à notre collaboratrice un des rescapés de l'attaque menée contre ses camarades et lui à la fin du mois de septembre. Entrevue avec un survivant.

«C'était comme une explosion de feu qui provenait de l'obscurité. On pouvait voir les éclairs qui surgissaient du bout des canons, mais pas ceux qui portaient les armes. Ils semblaient disposés en formation. Je me suis caché derrière un poteau. Il y avait déjà deux camarades au sol, morts.»

Omar García est un étudiant de 24 ans, de l'École normale rurale d'Ayotzinapa, dans l'État du Guerrero. D'une voix basse, ce jeune homme robuste à la rage contenue décrit les événements du 26 septembre en choisissant minutieusement ses mots, dans un long récit lancinant empreint d'émotions.

Le soir du 26 septembre, alerté par ses camarades pris sous les balles de la police municipale d'Iguala, il tente de leur porter secours. Lorsqu'il arrive sur les lieux de la fusillade, vers 23h30, deux heures s'étaient écoulées depuis la première attaque.

À ce moment, tout ce que la ville d'Iguala compte comme policiers, militaires et autorités est informé des faits. Un groupe de 120 étudiants était arrivé en début de soirée en provenance d'Ayotzinapa, 125 kilomètres au sud. Ils avaient réquisitionné des autobus afin de se rendre, comme chaque année, à la manifestation du 2 octobre à Mexico, qui commémore le massacre des étudiants de 1968.

À la sortie de la ville, ils affrontent le barrage de feu des policiers municipaux qui tirent sans sommation. Les jeunes qui sortent à découvert, les mains en l'air, sont abattus. Deux sont tués, plus d'une dizaine blessés, d'autres arrêtés.

Ordre du maire

Selon certains témoignages, le maire en personne, José Luis Abarca, aurait ordonné à la police de neutraliser les étudiants avant de prendre la fuite. Arrêté à Mexico le 4 novembre, il n'a rien avoué.

«Les journalistes sont arrivés sur les lieux et lorsque nous nous sentions enfin en sécurité, tout a recommencé», se souvient Omar. Les étudiants hurlent qu'ils sont désarmés, mais les balles fusent. Personne n'est tué à ce moment-là. Quand les tirs cessent, Omar et d'autres survivants transportent un camarade blessé vers un hôpital. Mais ils sont pris en chasse par des militaires.

«Ils nous agressent, nous disent que nous l'avons bien cherché, que nous sommes des fauteurs de trouble. Ils disent qu'on risque de ne jamais nous retrouver et menacent de nous livrer aux policiers.»

Les militaires refusent de porter secours au blessé mais ils le photographient. Le lendemain, le cadavre d'un troisième étudiant, enlevé lors de la première attaque, sera retrouvé, la peau du visage arrachée. Quarante-trois jeunes manquent à l'appel. «Nous pensions qu'ils étaient en prison. Nous ne les avons jamais retrouvés.»

«Agressés» par l'État

Hier, dans les rues de Mexico, les manifestants blâmaient tous les ordres de pouvoir, y compris le gouvernement fédéral. Celui-ci affirme que les 43 disparus ont été livrés par la police à des membres du cartel des Guerreros Unidos (guerriers unis), qui les auraient tués et qui auraient brûlé leurs corps.

«Le gouvernement rejette la faute sur le crime organisé. Il s'en lave les mains. Mais ne perdons pas de vue que ce sont des policiers et des militaires qui nous ont agressés», dénonce Omar, le regard défiant. Aujourd'hui, il est le porte-parole des étudiants d'Ayotzinapa, un foyer historique de résistance.