Le candidat social-démocrate brésilien à la présidence, Aecio Neves, devance pour la première fois la présidente sortante de gauche Dilma Rousseff en intentions de vote pour le second tour du 26 octobre, selon deux sondages publiés jeudi soir.

M. Neves l'emporterait avec 46% des voix contre 44% pour Mme Rousseff, selon ces sondages des Instituts Ibope et Datafolha, les deux premiers effectués après le premier tour remporté dimanche par Mme Rousseff.

Ces deux sondages comportent une marge d'erreur de +/-2%, qui situe de facto les deux adversaires à égalité technique, confirmant le caractère dès l'origine très indécis de l'élection pour la présidence du géant émergent d'Amérique latine.

Les votes blancs et nuls sont comptabilisés au Brésil, ce qui explique qu'un candidat puisse remporter l'élection sans nécessairement franchir la barre des 50%.

Dilma Rousseff a remporté assez facilement le premier tour de dimanche avec 41,59% des voix face à ses deux grands rivaux du camp du «changement», Aecio Neves (33,55%) et l'atypique écologiste, Marina Silva (21,3%), éliminée alors qu'elle avait un temps été favorite de l'élection.

Grande perdante du premier tour, Marina Silva - qui a fédéré de nombreux déçus de la gauche en prônant une «nouvelle politique» de rupture avec 20 ans de bipolarisation PT-PSDB - est paradoxalement devenue l'arbitre du second.

Durement attaquée pendant la campagne par le camp présidentiel, Marina Silva a exclu d'appeler à voter pour Mme Rousseff, au nom du respect de la volonté de changement majoritairement exprimée par les Brésiliens au premier tour.

Mais elle a fait monter jeudi les enchères de son éventuel soutien à Aecio Neves en le conditionnant à un accord de programme, par souci de cohérence avec sa promesse de rupture avec les traditionnels ralliements contre postes.

Elle exige que M. Neves fasse siennes les grandes lignes de son propre programme : non-rééligibilité du président de la république dont le mandat serait porté de quatre à cinq ans, promotion de l'agriculture familiale, affectation de 10% du PIB au budget de l'éducation, protection des populations indigènes, engagement effectif pour stopper à terme la déforestation de l'Amazonie, et tout une batterie de mesures en faveur du développement durable.

Marina Silva devait initialement annoncer ses consignes jeudi à Brasilia. Mais elle est restée à Sao Paulo et son entourage rencontrera vendredi M. Neves à Rio de Janeiro pour lui soumettre ses conditions.

«Fausses illusions»

«J'attends avec sérénité la décision de Marina», a répondu jeudi le «candidat des forces du changement» à Rio. M. Neves a dit espérer un accord sur l'essentiel mais pas au prix de renier ses propres engagements: «Nous n'allons pas créer de fausses illusions car ce serait une fraude».

Le Parti socialiste brésilien (PSB), ex-membre de la coalition de gauche au pouvoir, dont Marina Silva était devenue la candidate de circonstance après la mort de son allié socialiste Eduardo Campos en août, s'est rallié mercredi à M. Neves.

Mais le parti vert de Marina Silva, Rede Sustentabilidade, a appelé jeudi ses militants à voter «soit pour Aecio Neves, soit blanc ou nul».

«Par respect pour ceux qui ont voté Aecio en croyant au changement, pour ceux qui n'ont pas défini leur position et pour ceux qui ne se sentent pas représentés par la polarisation (PT/PSDB), nous laissons chaque militant libre de décider laquelle de ces alternatives représentera le mieux les propositions de changement défendues par Marina Silva», a souligné Rede Sustentabilidade.

Mme Silva, une ex-militante du PT et ministre de l'Environnement de l'ancien président de gauche Lula (2003-2008), n'avait pu enregistrer à temps son nouveau parti pour présenter dès le départ sa propre candidature.

Déçus du Lulisme

Les 142,8 millions d'électeurs du géant émergent d'Amérique latine sont divisés, en particulier ceux de la classe moyenne désormais majoritaire de ce pays-continent de 202 millions d'habitants.

Beaucoup, surtout dans les classes populaires et régions pauvres du Nord-Est, voteront Dilma Rousseff par fidélité aux conquêtes socio-économiques de la gauche au pouvoir, qui ont permis à 40 millions de pauvres d'accéder à la classe moyenne.

Le camp du changement est partagé: d'un côté l'opposition traditionnelle d'Aecio Neves, qui veut en finir avec la gauche et prône des recettes libérales pour relancer le moteur de la septième économie mondiale en panne, de l'autre, les déçus du «Lulisme» de Marina Silva.