Les acteurs ne gagnent presque rien, les films d'action sont à balles réelles et les héros pas vraiment séduisants. Et pourtant, le «cinéma guérillero» ou amateur connaît un retentissant succès en Équateur, où des milliers de copies sauvages concurrencent le grand écran.

Fernando Cedeño, un marchand de bois de 46 ans, dirige et tourne ainsi régulièrement des longs-métrages au budget ridicule, sans n'avoir jamais fréquenté d'école de cinéma ni touché la moindre subvention.

À Chone, une petite localité de 132 000 habitants sur la côte équatorienne, les histoires de violences, d'amour ou de vengeances ont inspiré ce passionné du septième art.

«On appelle cela le ciné guérillero, car nous sommes en dehors de toutes les règles», affirme M. Cedeño à l'AFP. «Jamais des acteurs professionnels n'accepteraient de travailler dans ces conditions».

De fait, la plupart des protagonistes sont en réalité des chauffeurs de taxi, des peintres ou des professeurs qui ne tournent que le week-end, souvent sans toucher de cachet ou trois fois rien, malgré la dangerosité des scènes d'action.

Pas de doublures sur les «plateaux» : beaucoup d'acteurs s'en sont tirés avec de jolies blessures. Un tir mal cadré, un choc avec une voiture...

Le marchand converti en réalisateur se rappelle qu'il a failli abattre un ami avec son pistolet lors d'une scène de poursuite dans une rivière. «Je voulais juste voir son dos pour vérifier qu'il ne saignait pas. Quand il est sorti de l'eau, je me suis dit "je ne l'ai pas tué". Je n'ai pas osé le lui dire pour ne pas l'effrayer».

Depuis 1994, il a déjà achevé cinq longs-métrages amateurs. Un chiffre non négligeable lorsqu'on songe qu'il y a eu l'an dernier, dans le pays andin, treize sorties nationales de films professionnels, la plupart financés par l'État.

«Diffusion massive»

Directeur du Conseil national de cinématographie en Équateur, le réalisateur Juan Martin Cueva admet auprès de l'AFP que «le cinéma guérillero connaît une diffusion massive», tout en expliquant qu'il est difficile de chiffrer avec précision ce phénomène.

Alors que quelque 250 000 spectateurs en moyenne par an se rendent dans les salles, Cedeño affirme qu'une de ses productions s'est vendue à plus de 1,2 million de copies, en majorité pirates et donc sans grands bénéfices pour lui à la clé. Il estime à une vingtaine le nombre de «cinéastes guérilleros» en Équateur.

Dans sa ville de Chone, ce dernier, qui se plaît à appeler ses acteurs des «soldats», narre souvent dans ses films les histoires de règlements de compte crapuleux qui n'ont guère manqué dans le passé.

Lors de son dernier tournage, Milton Escobar, un policier chauve et ventru aux faux airs de Bruce Willis, a accepté d'incarner un malfaiteur participant au braquage d'une banque. Il serait prêt à recommencer. «Même gratuitement», jure-t-il.

Détail cocasse, la scène de la fuite après l'attaque, filmée grâce à la collaboration de deux motards de police, a tourné au mini-drame, car les passants ne savaient pas qu'il s'agissait d'une fiction.

Parfois, des habitants prêtent leur ferme, leur voiture ou leurs chevaux pour des tournages qui veulent coller au plus près à la réalité.

Un souci qui a même conduit Cedeño à contacter un tueur à gages afin d'écrire le scénario d'un de ses films, donnant naissance à «Tueurs à gages de Manabi», du nom de la province où se situe Chone.

Sorti en 2004, le film, tourné avec une caméra d'amateur, a coûté 1000 $. Mille copies ont été produites et vendues, essentiellement dans des bus, même si selon son auteur plus d'un million d'exemplaires illégaux ont suivi.

Quant au tueur à gages, il avait accepté de collaborer à une condition : ne pas révéler son identité... sous peine de mort.