L'ex-chef de la police du Guatemala, Erwin Sperisen, qui a la double nationalité suisse et guatémaltèque, a été condamné vendredi par la justice suisse à la prison à vie pour avoir assassiné directement ou indirectement sept détenus au Guatemala en 2006.

«Compte tenu notamment de la gravité des faits, du nombre de victimes, de l'absence d'empathie à l'égard de celles-ci et de l'absence de prise de conscience de la gravité de ses agissements, seule une peine privative de liberté à vie est susceptible de sanctionner le comportement du prévenu», a conclu la présidente du tribunal criminel de Genève, Isabelle Cuendet, après trois semaines de procès.

De nationalité suisse (son grand-père paternel a émigré au Guatemala), Erwin Sperisen, 43 ans, ne peut pas être extradé vers le Guatemala où il est recherché pour ses crimes, mais la loi suisse permet de poursuivre tout ressortissant suisse même si les crimes ont été commis à l'étranger.

«Le tribunal retient que Erwin Sperisen est coauteur» de six assassinats «et auteur direct» d'un septième assassinat, a déclaré Mme Cuendet.

Les juges ont donné raison au procureur genevois qui accusait M. Sperisen d'avoir planifié ou participé à l'exécution sommaire, ensuite maquillée, de sept détenus, dont un tué des ses propres mains avec une arme à feu, lors d'une opération au centre pénitentiaire de Pavon en septembre 2006.

«S'agissant du rôle d'Erwin Sperisen après l'entrée dans l'enceinte de la prison, le Tribunal relève que l'intéressé se trouvait aux endroits-clés, aux moments-clés», a souligné Mme Cuendet.

En ce qui concerne l'implication d'Erwin Sperisen, le tribunal s'est fondé, pour forger son intime conviction, sur les éléments matériels figurant au dossier (photos, vidéos, DVD, rapports divers), ainsi que sur les différents témoignages recueillis, «étant précisé qu'il n'y a pas de raisons de douter de la crédibilité de ces témoignages, notamment dans la mesure où ceux-ci se recoupent sur de nombreux points».

Les juges ont notamment estimé «crédible» le témoignage d'un Français, détenu à la prison de Pavon au moment des faits, qui a assuré avoir vu M. Sperisen tuer lui-même un des détenus.

Le tribunal a par ailleurs relevé que «la seule défense du prévenu a consisté à affirmer de manière péremptoire que la quasi-totalité des témoins mentait, alors que cette affirmation n'est pas corroborée par d'autres éléments autrement probants».

Les juges ont en revanche rejeté, faute de preuves, une partie de l'acte d'accusation du procureur qui estimait que M. Sperisen avait également planifié l'exécution sommaire de trois autres détenus qui s'étaient évadés en 2005 de la prison Infiernito.

Dans le cas des sept détenus tués à Pavon, le tribunal retient que M. Sperisen est «coupable du chef d'assassinat» et «le condamne à une peine privative de liberté à vie», a conclu Mme Cuendet.

Une «absence de scrupules» 

Les juges ont retenu que «les mobiles poursuivis» par Erwin Sperisen «sont égoïstes et particulièrement odieux» et que la manière dont il a agi «dénote l'absence de scrupules».

Un des avocats du prévenu, Me Florian Baier, a annoncé aux médias que son client allait faire appel après ce verdict selon lui «choquant». Certains des proches d'Erwin Sperisen, présents dans la salle, ont fondu en larmes, tandis que le condamné, vêtu d'un costume gris sombre, est resté impassible, puis est sorti de la salle escorté par la police genevoise.

Le président du Guatemala, Otto Perez, a déclaré que son gouvernement respectait la décision de la justice suisse et continuerait de suivre le dossier. Au cours d'une visite officielle à San José, M. Perez a estimé que les charges contre l'ancien chef de la police étaient «terribles» et a souligné qu'elles concernaient des crimes commis avant sa présidence.

Surnommé «le Viking» en raison de sa barbe rousse et de sa grande stature, Erwin Sperisen a toujours contesté les faits qui lui étaient reprochés par le procureur genevois et par la partie plaignante, la mère d'un des sept détenus assassinés.

Il avait été arrêté en Suisse le 31 août 2012, alors qu'il était installé à Genève depuis 2007 chez son père, ambassadeur du Guatemala auprès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Depuis, il se trouvait en prison.

M. Sperisen avait quitté le Guatemala en 2007 après un scandale. Le ministre de l'Intérieur du Guatemala Carlos Vielmann et M. Sperisen avaient présenté leur démission en mars 2007, deux semaines après l'assassinat de trois parlementaires salvadoriens.

M. Vielmann, qui possède les nationalités guatémaltèque et espagnole, s'est installé en Espagne, où il doit être jugé pour les mêmes faits que ceux reprochés à Erwin Sperisen.

Pour l'ONG suisse Trial, qui se bat contre l'impunité dans le monde, la condamnation d'Erwin Sperisen «envoie un signal fort: les auteurs de crimes graves, aussi haut placés soient-ils, ne sont pas à l'abri de sanctions pénales».