Dix ans après l'émoi international causé par les meurtres en série de femmes à Ciudad Juárez, une nouvelle alerte au féminicide est lancée. Dans l'État de Mexico, les crimes sexistes battent tous les records, dans l'indifférence officielle. Voici les cinq facettes d'un drame invisible.

Le féminicide silencieux

Dans l'État de Mexico, ceinture industrielle de la capitale, plus de 2000 femmes ont péri depuis 2005, victimes de la violence sexiste, d'après les associations civiles qui se penchent sur la question. Le phénomène est généralisé, il atteint toutes les municipalités, les niveaux socio-économiques, les tranches d'âge. «Souvent, les corps sont jetés dans des décharges ou sur des terrains vagues. On traite les femmes comme des déchets», dénonce Humberto Padgett, un journaliste qui vient de publier un livre sur le sujet, Les mortes de l'État. Militants et intellectuels exigent la déclaration officielle d'une alerte au féminicide pour prévenir et enquêter en profondeur sur le phénomène, une décision que les autorités locales refusent de prendre.

L'impunité

«Ma fille a été assassinée par son mari et celui-ci a fait passer son crime pour un suicide. Il est policier, il se sait protégé. Il n'a jamais été inquiété, au contraire, il a été promu commandant», affirme Irinea Buendía, dont la fille de 29 ans, Mariana, est morte en 2010 dans l'État de Mexico. Dans cette région de 15 millions d'habitants, seul un meurtrier de femme sur dix atterrit en prison. Les enquêtes sont bâclées ou inexistantes. «Même lorsque les dossiers aboutissent devant la justice, il n'y a pas de sentence. Il y a un message permissif: tuer une femme n'a aucune conséquence», déplore Rodolfo Domínguez, avocat de l'Observatoire national citoyen sur les féminicides. Comme l'impunité incite au crime, ces associations en viennent à parler de «féminicide institutionnel».

Un drame qui dérange Peña Nieto

Si, dans l'État de Mexico, le scandale des féminicides a mis aussi longtemps à éclater, c'est qu'il y a tout un appareil institutionnel et médiatique mobilisé pour minimiser et étouffer le phénomène, d'après Humberto Padgett. L'actuel président Enrique Peña Nieto, qui a été gouverneur de cet État de 2005 à 2011, a basé toute sa carrière politique sur sa popularité auprès de la gent féminine. Or, durant son mandat, 1997 meurtres de femmes ont été commis. «À l'époque, les chiffres ont été maquillés de manière intentionnelle, et les féminicides, occultés. Peña Nieto ne voulait surtout pas que son État soit connu comme un endroit où les femmes sont assassinées au moment où il entamait sa course à la présidence», affirme le journaliste. Rendu invisible, le féminicide prospéra.

Ciudad Juárez, l'inévitable comparaison

Ces dernières années, alors que la communauté internationale élevait la voix pour dénoncer le sort des femmes de Juárez, dix fois plus de féminicides étaient commis dans l'État de Mexico. «Le drame de Ciudad Juárez est latent et il s'est étendu», constate Martha Lucía Micher, députée fédérale. Dans la région centrale du pays, la rapide ascension professionnelle et économique des femmes a été mal assimilée par la société, machiste et conservatrice. Mais contrairement à la ville frontalière, où les victimes étaient pour la plupart des femmes seules, des ouvrières d'usine attaquées sur la voie publique, dans l'État de Mexico, la majorité des femmes sont tuées à leur domicile, aux mains d'un proche, après avoir subi des violences récurrentes.

Justifier les féminicides

Depuis 2007, avec la Loi sur l'accès à une vie libre de violence pour les femmes, le féminicide en tant que crime sexiste est reconnu dans la législation mexicaine. Pourtant, certains responsables politiques culpabilisent les femmes des sévices dont elles sont victimes. «On justifie les crimes en disant que les femmes sont agressées et tuées parce qu'elles ont une attitude provocante, une jupe trop courte, ou parce qu'elles sortent tard le soir», s'indigne Marta Lucía Micher, qui est aussi présidente de la commission sur l'égalité des sexes à la chambre. «Au Mexique, les femmes sont assassinées tout simplement parce qu'elles sont des femmes», conclut-elle.