Pour la première fois au Pérou, un homme politique, parlementaire et ancien ministre, a fait son «coming out», se revendiquant homosexuel dans un des pays les plus conservateurs d'Amérique latine.

Carlos Bruce, 57 ans, et l'un des principaux promoteurs du débat sur l'union civile entre personnes du même sexe au Pérou, a évoqué son homosexualité dans une interview dimanche au quotidien de référence El Comercio.

«Oui, je suis gai et fier d'appartenir à un groupe de personnes qui sont si précieuses pour le Pérou», a déclaré Carlos Bruce, jetant un pavé dans la mare suscitant immédiatement soutiens admiratifs, critiques et insultes sur les réseaux sociaux.

Si la communauté gaie et lesbienne péruvienne est sortie de l'ombre ces dernières années pour défendre ses droits, elle doit affronter le rejet d'une société profondément conservatrice ancrée dans ses traditions où l'homosexualité reste taboue.

Au moins 17 homosexuels ont été tués entre janvier 2013 et mars 2014 au Pérou, sans que ces homicides aient été sanctionnés par la justice, selon un rapport publié il y a quelques jours par l'association de défense des transsexuels, lesbiennes, gais et bisexuels (Red Peruana TLGB).

L'étude présentée lors de la «Journée internationale contre l'homophobie» mentionne notamment le cas du jeune Joel Molero, 19 ans, tué en novembre 2013 dans la province nord-est de l'Amazone et précise qu'il est mort «étranglé, amputé de ses parties génitales, de ses pieds et de ses mains, et brûlé.»

«Une fois de plus, ce genre de cas montre le niveau extrême de violence pratiqué, de la strangulation aux mutilations en passant par les coups, les meurtres à l'arme blanche et par balle, laissant penser qu'il s'agit de crimes motivés par les orientations sexuelles des victimes», a affirmé la secrétaire générale de la Red Peruana TLGB, Maribel Reyes.

L'Église catholique péruvienne et son chef de file, le cardinal Juan Luis Cipriani, issu de l'Opus Dei, la puissante organisation catholique conservatrice, ne désarment pas contre l'union civile, accusée de «détruire l'institution du mariage».

«Une légende»

Le texte du projet de loi sur l'union civile doit être examiné au Congrès avant la fin du mois, mais 61 % de Péruviens, selon un sondage IPSOS publié en avril, sont contre l'union civile des personnes de même sexe, bien que 33 % d'entre eux approuvent que les couples homosexuels puissent partager leur patrimoine.

Carlos Bruce, qui a reçu plusieurs fois des menaces de mort, relève que seuls trois pays en Amérique latine n'ont pas adopté l'union civile : la Bolivie, le Paraguay et le Pérou.

«C'est un problème d'être gai dans une société aussi conservatrice que celle du Pérou. La sécurité de l'État a dû doubler le nombre de ses agents, car elle considère que je suis en danger», dit-il.

Flanqué de ses deux fils Alex et Paul, qui soutiennent leur père et dénoncent «l'intolérance» de leur pays, Carlos Bruce relève que «beaucoup croient impossible que l'on puisse être bon père ou servir son pays si on est homosexuel».

Le congressiste, qui a été deux fois ministre sous la présidence d'Alejandro Toledo (2001-2006), estime qu'«il a servi son pays le mieux possible. Même mes adversaires reconnaissent que ma gestion a été efficace».

«Mon avenir comme homme politique serait bien plus brillant si je pouvais choisir d'être hétérosexuel», dit-il.

«Maintenant, à cause de ce que je dis, je ne serai jamais président de la République», plaisante-t-il.

Son «coming out» a été salué dans les milieux politiques et intellectuels péruviens. La mairesse de Lima Susana Villaran a notamment félicité Carlos Bruce pour «sa cohérence personnelle et la défense du droit à la diversité».

L'éditorialiste et journaliste de télévision péruvien Beto Ortiz a, lui, écrit sur Twitter : «Un congressiste de la République embrasse ses fils pour dire "Je suis gai" sur la couverture du Comercio. Carlos Bruce, à compter d'aujourd'hui, tu es une légende».