Un épouvantail avec une corde nouée autour du cou: dans le nord de la Colombie, cela rappelle un mauvais souvenir aux paysans chassés de leur terre par le conflit armé et qui reviennent récupérer leur bien, parfois la peur au ventre.

Dans le secteur de Monteria, où les groupes illégaux et notamment d'anciennes milices paramilitaires ont fait régner la terreur, souvent avec ce genre de symboles macabres, Antonio Galvan a plié bagage avec sa famille, il y a vingt ans, bradant sous la menace son terrain à un prix dérisoire: 500 dollars l'hectare.

«Vous n'avez pas envie de le faire, mais c'est une obligation. Il était obligé de vendre, car on lui disait que l'ordre venait d'en haut. Du patron. Quel patron? Cela, ils ne le disaient pas», témoigne à l'AFP Miguel Galvan, racontant l'expérience vécue par son père.

Les larmes aux yeux, son frère Miguel se rappelle l'exode familial. «On vient de la campagne. On arrive en ville et on se retrouve coincé», sanglote-t-il, avant de s'essuyer les yeux de ses mains calleuses.

Comme les Galvan, de nombreux paysans ont été spoliés de leurs terres par les acteurs d'un conflit de près d'un demi-siècle, le plus vieux d'Amérique latine: guérillas, milices paramilitaires aujourd'hui dissoutes, mais dont la plupart des membres ont rejoint des bandes criminelles.

En cinquante ans, le conflit a fait plusieurs centaines de milliers de morts. Le nombre de déplacés a dépassé les 5 millions, selon un rapport du Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'Homme présenté la semaine dernière.

En 2011, le gouvernement colombien a fait voter une loi dite de «Restitution des terres» incitant les victimes à porter plainte afin de récupérer leurs biens au terme d'une procédure judiciaire.

«Elles doivent venir nous voir et nous dire: on m'a volé ma terre. Nous leur demandons alors les éléments d'identification du terrain», explique à l'AFP Ricardo Sabogal, directeur de l'«Unité de restitutions des terres», l'organisme public chargé d'appliquer le dispositif.

Il faut ensuite apporter les preuves d'acquisition de la propriété devant un juge qui devra trancher. Aux autorités enfin de s'assurer que les conditions de sécurité sont réunies pour le retour du paysan.

66 plaignants tués entre 2008 et 2014

La famille Galvan est désormais à nouveau propriétaire des 5 hectares abandonnés que s'était appropriés le clan de Carlos Castaño, un des chefs des Autodéfenses Unies de Colombie (AUC), nom des milices paramilitaires nées dans les années 80 pour combattre les guérillas et responsables du massacre de milliers de civils.

À l'époque de cette spoliation, les terrains intéressaient les groupes armés, car ils «les connectaient à l'océan», explique M. Sabogal. «Ils avaient un corridor qui leur permettait de se livrer au trafic de drogue et d'armes», ajoute-t-il.

Les héritiers du paramilitaire avaient eux-mêmes revendu la propriété à des agriculteurs de la région, dont les droits ont été révoqués.

La restitution demeure amère pour les Galvan, dont le père n'a pas vécu assez longtemps pour y assister. «Mon papa voulait revenir ici et il n'a pas pu», glisse Antonio.

Selon l'Unité de restitution, le processus peut durer au moins un an et, en cas de jugement favorable, les victimes peuvent bénéficier de l'accompagnement de policiers lors du retour.

«Pour ces personnes qui ont vécu des épisodes de violence, tout peut susciter de la peur», explique Evaristo Cataño, commandant du groupe de police veillant sur les terres des Galvan.

Les menaces ont loin d'avoir disparu. Entre 2008 et 2014, 66 plaignants ont ainsi été assassinés, selon un décompte de la fondation Fojando Futuros («Forgeant l'avenir»), spécialisée dans ce domaine.

Cette ONG estime que les victimes ont déposé une plainte seulement dans 15% des cas, par peur de représailles ou par manque de confiance dans les autorités.

Les milices «ont réussi à s'infiltrer dans toutes les couches de la société. Il y avait une méfiance totale des victimes envers l'État», admet Rodrigo Torres, responsable de l'«Unité de restitution» dans la région de Cordoba, dont dépend Monteria.