La loi régulant la production et la vente de cannabis en Uruguay sous autorité de l'État a été définitivement approuvée par le Parlement mardi soir, une initiative sans précédent dans le monde portée par le président de gauche Jose Mujica.

«C'est un jour historique», s'est immédiatement réjoui dans un communiqué l'organisation Régulation responsable, qui avait lancé plusieurs campagnes en faveur de cette initiative.

A l'issue de 12 heures de débats au Sénat, la loi a été approuvée par 16 voix sur 29, grâce aux seuls suffrages des sénateurs membres du Frente amplio (gauche, au pouvoir), dans la foulée des députés ayant déjà voté le texte en juillet. Si la constitutionnalité de la loi est confirmée, et après signatures des décrets d'application, sa mise en oeuvre n'interviendra au plus tôt qu'en avril 2014.

Cette loi pionnière confère à l'État la mainmise sur la culture et la vente du cannabis à des fins récréatives, repoussant les limites des expériences menées dans les États américains du Colorado et de Washington, aux Pays-Bas ou en Espagne, qui autorisent ou tolèrent la production de cannabis dans un cadre privé.

L'annonce du vote a été accueillie par une salve d'applaudissements provenant des rangs du public alors que plusieurs centaines de partisans en liesse étaient rassemblés aux abords du Palais législatif à Montevideo pour célébrer «le grand jour», dans une forte odeur de cannabis et de feux d'artifices, ont constaté des journalistes de l'AFP.

Un avis partagé par le sénateur du Frente amplio Alberto Couriel, qui a jugé dans l'hémicycle que l'«Uruguay se plaçait à l'avant-garde mondiale sur ce sujet».

«L'Uruguay vote cette loi dans la cadre d'une série (de textes) en faveur de la défense des droits» individuels, a-t-il ajouté, évoquant l'approbation ces derniers mois de la légalisation de l'intervention volontaire de grossesse ou du mariage homosexuel.

«Encore un coup contre l'hypocrisie sociale», s'est félicitée parmi  les manifestants Valeria Rubino, une assistante sociale de 37 ans, arborant un immense sourire.

Présenté comme une alternative aux politiques répressives pour lutter contre le narcotrafic, la dépendance aux drogues dures et comme un impératif de santé publique, ce texte vise également à en terminer avec une «grotesque incongruité juridique», selon les termes d'un sénateur : en Uruguay, l'usage de cannabis n'est pas puni, à l'inverse de sa culture et de sa vente.

«Il existe beaucoup de doutes. Et le doute est légitime, mais le doute ne doit pas nous paralyser pour emprunter de nouvelles voies face à un problème qui nous affecte», avait déclaré plus tôt le président Mujica, à une télévision locale.

Plus de 60% de la population rejette ce projet, critiqué par l'opposition, certains professionnels de santé et des pharmaciens.

«Pas question que je m'inscrive»

La loi prévoit trois modes d'accès au produit: l'auto-culture, la culture dans des clubs de consommateurs et la vente en pharmacie, sous contrôle public (40 grammes maximum par mois). Toute publicité sera interdite et les cultivateurs ou consommateurs - des résidents obligatoirement majeurs - devront s'inscrire sur un registre national.

«C'est bien que l'on puisse acheter plus facilement (du cannabis), mais il est hors de question que je m'inscrive, on ne sait jamais où peuvent finir» ces données, avait déclaré au cours de la journée à l'AFP Juan Lopéz, 19 ans, interrogé dans le quartier du Parlement, résumant le sentiment d'une partie des consommateurs.

Le gouvernement, qui a lancé la semaine dernière une campagne sur les dangers de «toutes» les drogues, présente la loi comme un moyen de réduire les risques liés à la consommation de stupéfiants.

«La marijuana est la drogue illégale la plus consommée, majoritairement par des jeunes, qui ont une faible perception des risques et un accès facile» au produit, a ainsi justifié au cours des débats le sénateur Roberto Conde.

Le cannabis représente 70% de la consommation de drogues en Uruguay, et son usage s'est largement répandu ces 10 dernières années. Les autorités évoquent le chiffre de 128 000 usagers, contre 200 000 selon les associations de consommateurs.

«Ni notre gouvernement ni le reste du monde ne devraient faire des expériences sur les Uruguayens», a estimé le sénateur Alfredo Solari, du parti Colorado (opposition). Son homologue du Parti national Jorge Larrañaga a quant à lui promis de travailler à «l'abrogation» du texte lors de la prochaine mandature, en 2015.

L'idée de cette première mondiale a été lancée il y a un an et demi par le président Mujica, 78 ans, ex-guérillero torturé sous la dictature (1973-1985) élu fin 2009 à la tête de ce pays de 3,3 millions d'habitants et connu pour son pragmatisme et son style de vie modeste.

Assurant mener une «expérience pour le monde», le chef de l'État avait appelé ce week-end la communauté internationale à appuyer l'initiative, étant déjà soutenu par un groupe d'ex-présidents latino-américains.

Photo Miguel Rojo, Agence France-Presse

La Chambre des sénateurs du Parlement uruguayen.