Orpheline de père, issue d'une famille très pauvre dans une région secouée par le trafic de drogue, l'histoire de Paloma Noyola, Mexicaine de 12 ans lauréate d'un examen scolaire national, ne cesse de surprendre et d'émouvoir dans son pays.

Il y a deux semaines, la revue américaine Wired a fait sensation et déclenché un soudain engouement médiatique au Mexique en publiant la photo de cette écolière barrée du titre: La prochaine Steve Jobs, en référence au fondateur d'Apple récemment décédé.

«Je suis très contente. Si on veut, on peut!», commente aujourd'hui l'impassible cadette d'une famille de huit enfants qui subsiste entre récupération de ferraille et vente ambulante de nourriture dans un quartier déshérité de Matamoros (État du Tamaulipas).

Cette semaine, Paloma s'est rendue dans la capitale pour participer à un concours de calcul mental. Arrivée sous l'escorte de hauts fonctionnaires du Tamaulipas, la fillette a tranquillement rempli sa copie puis s'est vite éclipsée, au grand dam de nombreux cameramans et photographes dépêchés sur place.

En marge du phénomène médiatique, experts et journalistes cherchent à expliquer comment Paloma a pu obtenir la note maximale de 921 points au concours national de mathématiques l'année dernière, alors qu'elle baigne dans un milieu a priori peu propice à la réussite scolaire.

En outre, Paloma vient de perdre son père - mort d'un cancer du poumon l'année dernière - et vit à Matamoros, ville de 490 000 habitants frontalière avec les États-Unis. Cette localité du nord-est bordant le Rio Grande est surtout réputée pour être le théâtre d'affrontements meurtriers entre les redoutés cartels du Golfe et des Zetas, qui se disputent le contrôle des routes des trafics de cocaïne et de migrants vers l'Amérique du Nord.

Une modeste école bordant une décharge sauvage

D'après plusieurs experts, une grande part du succès de Paloma est à mettre au crédit de son jeune professeur de 32 ans, Sergio Juarez Correa, affecté malgré lui à José Urbina Lopez de Matamoros, une école sise dans une zone peu sûre. Rudimentaire, le bâtiment aux murs de ciment décatis est privé d'eau courante, de téléphone et borde une décharge sauvage dont les piquants effluves gagnent souvent les salles de classe.

Après plusieurs années à s'appuyer sur les rébarbatives méthodes officielles, qui donnaient des résultats pour le moins frustrants, le jeune professeur a pris l'initiative d'explorer de nouvelles techniques d'enseignement sur l'internet.

Sergio a notamment été interpellé par les procédés privilégiant la curiosité et l'auto-apprentissage inspirés du «concept d'«apprentissage sans influence» du professeur indien Sugata Mitra.

Cette méthode met en avant à la fois le point de vue de l'enfant et sa curiosité, lui laissant le plus possible de champ libre à travers notamment de petits groupes de réflexion.

C'est au cours de ces séances qu'il découvrit le don exceptionnel de Paloma pour les mathématiques, qu'il était loin de soupçonner auparavant. Et c'est grâce à cette méthode qu'il permit à Paloma, mais aussi à neuf autres de ses élèves, de se distinguer lors des concours nationaux.

Mais si l'avenir de la jeune prodige semble s'éclaircir, M. Juarez déplore qu'à Matamoros, elle n'aura jamais les mêmes opportunités qu'un Steve Jobs. Si c'était le cas «elle pourrait devenir un génie dans son domaine», avance-t-il.

«Le système éducatif mexicain est comme un autobus au pied d'une côte dont les sièges sont cassés, les jantes en mauvais état et le moteur totalement détruit», constate le jeune enseignant, en regrettant que la réforme de l'éducation actuellement promue par le gouvernement n'aborde pas les questions des infrastructures et des programmes.

Le Mexique, deuxième puissance économique d'Amérique latine, présente des résultats peu enviables en matière d'éducation, avec par exemple seulement 64 % des élèves qui parviennent à boucler le cycle primaire.

Le gouvernement d'Enrique Peña Nieto tente de reprendre la main sur l'administration éducative, vampirisée ces dernières années par le puissant syndicat du SNTE à tous ses échelons (des nominations aux salaires des professeurs, en passant par les primes et les promotions), mais n'a pas encore annoncé de remise en cause des programmes ni de méthodes souvent considérées comme éculées.